Interview de Orson Scott Card La porte des mondes

 

Orson Scott Card

 Crédit Photo :
Bob Henderson
Henderson Photography, Inc.

 

Les Chroniques d'Alvin le Faiseur

Les Chroniques d'Alvin le Faiseur

Traduction de Patrick Couton
L'Atalante  (1996)
896 pages.    2-84172-040-3

 

La rédemption de Christophe Colomb (Observatoire du temps 1)

La rédemption de Christophe Colomb (Observatoire du temps 1)  
Traduit par Arnaud Mousnier-Lompré
L'Atalante  (1998)
448 pages.     2-84172-093-4

Flammes de vie

Flammes de vie (Heartfire, 1998)
Traduit par Patrick Couton
L'Atalante 1999
491 pages 
    2-84172-099-3

 

Bibliographie de Orson Scott Card dans la Porte des Mondes

Le septième fils

Le prophète rouge

L'apprenti

L'apprenti Alvin et le soc bon-rien

Le compagnon

L'Homme-au-grand-sourire

Flammes de vie

La rédemption de Christophe Colomb

Né en 1951, Orson Scott Card est un des auteurs majeurs de ces dernières années. Dramaturge, imprésario d'une troupe théâtrale, il fut aussi missionnaire de l'Eglise mormone au Brésil avant d'enseigner dans une école religieuse pour adultes à Salt Lake City, la capitale des mormons. Il commence à écrire de la Science-fiction en 1977 et compte aujourd'hui parmi les écrivains les plus doués et les plus nuancés de la Science-fiction américaine moderne.

On retrouve dans ses écrits un intérêt pour les problèmes moraux, la justice ainsi que l'importance des personnalité messianiques. Lauréat de nombreux prix (Campbell, Hugo, Nébula, Grand Prix de l'Imaginaire)

 

La page de Orson Scott Card sur le site de la nooSFère . 

 

 

La Porte des Mondes: Quand avez-vous commencé à écrire? Comment êtes-vous devenu écrivain ?  

Orson Scott Card : J’ai écrit toute ma vie -- des nouvelles, poèmes, pièces, essais, et discours, débutant par un court exposé que je devais présenter à l’église quand j’avais six ans.

Quoi qu’il en soit, j’ai commencé à écrire sérieusement en première année de collège, quand je révisais et adaptais différentes pièces et des scénarios existant déjà pour des productions du département de théâtre du collège. À partir de ce moment, il n’y avait qu’un petit pas à franchir avant que je ne me mette à écrire mes propres pièces basées sur des événements religieux, historiques et familiaux. Plusieurs de ces pièces étaient des comédies musicales faites en collaboration avec Robert Stoddard, un brillant compositeur, dont les travaux demeurent peu connus -- ce qui est une tragédie, je crois. (Sa musique d’accompagnement pour notre drame musical consacré à Moïse et Aaron est disponible sur DC à l’adresse électronique suivante: http://www.hatrack.com. Les paroles, est-il besoin de le préciser, sont de moi) .  

Ce n’est qu’après que des revers financiers m’aient forcé à interrompre les activités de ma compagnie de théâtre de répertoire en 1975 que je me suis tourné vers l’écriture d’histoires en visant la publication. La première nouvelle que j’ai complétée cette année-là était “Fin De Partie” . Elle fut acceptée une année plus tard, et publiée, en fait, l’année suivante. 

Toujours est-il que les quelques nouvelles vendues -- et les premières rares ventes de romans -- ne me fournirent qu’un revenu qui n’était ni suffisant ni assez régulier. J’ai travaillé alors comme rédacteur en chef pour The Enseign, une publication officielle de l’Église des Adventistes Du Septième Jour (L’Église Mormone)  , jusqu’à ce que j’ai décroché un contrat pour rédiger 64 pièces audios d’une demi-heure pour les gens de chez Living Scriptures de la ville d’Ogden, en Utah.  

J’ai adapté des récits tirés de l’histoire de l’Église Mormone au début, puis d’autres venant du Nouveau Testament, et ensuite écrit des séries dont l’argument venait de l’Ancien Testament, de l’histoire Américaine, de la biographie de grandes femmes Mormones, ainsi que quelques scénarios pour des productions en vidéos également, tout au cours des ans. Durant les premières années où je me suis mis à mon compte comme pigiste le travail sur ces scénarios constituait la principale source de revenus de ma famille. Ainsi mes racines sont fermement plantées dans l’écriture dramatique plutôt que narrative. Ce ne fut pas avant le milieu des années 80 que j’ai été en mesure de considérer l’écriture de fiction comme mon unique source de revenus et, depuis lors, j’ai quand même continué à donner quelques pièces de théâtre quand l’Église me le demandait. Je travaille également sur quelques drames musicaux avec Robert Stoddard pour des productions professionnelles.  

J’ai aussi écrit quelques scénarios de films, même si un seul fut vraiment réalisé,  “Remind Me Again”, une courte comédie qui peut être chargé électroniquement sur le site http://www.FrescoPix.com.

 

 

PdM : Pourquoi avez-vous choisi d’écrire de la Science-Fiction ? 

O.S. C. : À un moment ou un autre, tout au long de mon enfance et de mon adolescence, j’avais découvert des auteurs de Science-fiction dont les oeuvres devinrent importantes pour moi, débutant avec Jules Verne et parvenant jusqu’à Andre Norton, Robert Heinlein, Isaac Asimov, Ray Bradbury, Zenna Henderson, Arthur C. Clarke et James Blish. J’étais profondément conscient de l’importance la nouvelle de Science-fiction -- parce qu’il n’y a qu’en Science-fiction que la nouvelle demeure encore un aspect vibrant d’une communauté littéraire en plein développement. 

Lorsque j’ai décidé de m’essayer sérieusement à l’écriture de la fiction, il paraissait évident qu’il valait mieux prendre la température de l’eau avec une nouvelle en premier lieu, et la Science-fiction était la seule communauté littéraire où on payait effectivement pour de la nouvelle tout en demeurant ouvert aux nouveaux écrivains, aux débutants. Mais il faut dire que j’étais loin d’être aussi versé dans le genre que je ne le suis maintenant. Sauf pour quelques exceptions, je n’avais uniquement lu que les auteurs de Science-fiction que j’ai mentionnés auparavant et la majorité de mes lectures dans le domaine de la fiction était constitué de romans littéraires classiques, historiques et policiers. Je ne connaissais pas encore tous les tropismes et toutes les traditions de la Science-fiction, et lorsque j’ai écrit “Fin De Partie” je n’avais pas lu La Guerre Éternelle de Haldeman ou Étoiles, Garde À Vous ! d’Heinlein -- je ne connaissais même pas les oeuvres auxquelles j’avais alors supposément “répondu” . 

J’ai lu La Guerre Éternelle peu de temps après avoir écrit la version courte de La Stratégie Ender (“Fin De Partie” ) , mais je n’ai toujours pas lu Étoiles, Garde À Vous ! . (Le roman n’avait pas encore été publié quand j’ai traversé ma phase de lecture d’Heinlein au début de mes années de lycée. Pas plus que je ne lisais ni ne lis aucune autre espèce de SF militaire. Pour dire le vrai, quand j’avais lu des ouvrages d’histoire militaire, parmi toutes mes autres lectures en histoire, je n’avais jamais apprécié ni la violence, ni la culture militariste, ni l’armement ingénieux de la SF militariste, alors quand je lisais pour le plaisir, les satisfactions que je recherchais ne pouvaient se trouver en pareil endroit. 

Au lieu de cela, je me figurais que j’écrivais plus dans la tradition de Ray Bradbury ou James Blish -- de la fiction qui était centrée sur les personnages, sur les relations entre les personnages et qui, tout simplement, était située dans le futur ou dans quelque version  étrange du présent ou du passé. En fait, le White Lotus de John Hersey, les pièces d’Edward Albee, un roman dont le titre était Vandenburg et le roman de Nordhoff et Hall au sujet de l’Escadrille Lafayette durant la Première Guerre Mondiale ont eu plus d’influence sur l’écriture de “Fin De Partie” que la majorité des ouvrages de Science-fiction que je lisais, et l’auteur le plus important dans mon apprentissage en tant qu’écrivain fut Shakespeare, que je lisais avec assiduité, à la fois intérieurement et à haute voix. À cause de Shakespeare, j’ai écrit quelques pièces en vers (y compris celle qui eut le plus de succès, Stone Tables) , et dans ma fiction j’ai toujours pris grand soin de m’assurer que le langage que j’utilisais sonne bien, qu’il coule bien de la langue quand lu à haute voix. Seul Bradbury, parmi les écrivains de Science-fiction, semblait prendre le plus grand soin à cela.  

Je continue d’écrire de la Science-fiction et de la Fantasy parce que ces genres me permettent les plus grandes possibilités d’écrire avec clarté et parce que les lecteurs qui constituent le public de la Science-fiction et de la Fantasy sont très ouverts à l’expérimentation et aux idées nouvelles. Malheureusement, la fiction “académico-littéraire” n’est ouverte seulement qu’à une “expérimentation” similaire aux tentatives des “modernes” -- en d’autres mots, cette “expérimentation” se doit d’être d’un type élitiste, d’un genre qui repousse le lecteur, qui était de mise parmi les littérateurs des années 20 et 30. Comme je travaille constamment à produire une fiction accessible au public -- une fiction qui peut être reçue par des lecteurs non sophistiqués, afin que chaque roman ou nouvelle procure en eux-mêmes au lecteur toutes les capacités ou expériences dont il aurait besoin pour lire cette histoire particulière -- mes expérimentations ne reçoivent pas le moindre crédit pour leurs innovations de la part de la communauté "académico-littéraire" qui sait déjà à quoi doit ressembler une “expérimentation”. Ces gens n’ont aucune idée de ce qu’ils peuvent faire de mon oeuvre, puisqu’elle n’obéit à aucun de leurs diktats, alors ils la dédaignent ou l’ignorent généralement. Mais comme je n’écris pas pour eux, ce n’est pas vraiment une surprise. Ma fiction n’a pas besoin d’une médiation professionnelle. Je m’adresse directement au lecteur. Et en Science-fiction comme en Fantasy on peut écrire de la fiction très sérieuse destinée à une audience très intelligente sans avoir besoin ni de la permission, ni de l’interprétation de la communauté académique.

 

 

PdM : Quels sont vos auteurs préférés, tous genres confondus? 

O. S. C. : Je lis tellement de livres et dans tant de genres que ma mémoire déficiente fait qu’il m’est impossible de produire une liste exhaustive. Je peux vous mentionner le nom de certains des écrivains dont je recherche les oeuvres quand j’entre dans une librairie -- peut-être que cela suffira. 

En Fantasy,  j’attends toujours avec impatience les prochaines oeuvres de Robin Hobb, George R. R. Martin, Tanith Lee, David Farland, Lisa Goldstein et Neil Gaiman. 

En policier, j’achète systématiquement et lis tout ce que produisent Sharyn McCrumb, Sur Grafton, Robert Crais, Michael Connelly, Lawrence Block, Walter Mosley, Margaret Maron, Jan Burke, Dennis Lehane, Robert Parker, Ed McBain et quelques autres qui ne me reviennent tout simplement pas à l’esprit présentement (en ce moment, je me trouve dans la maison d’un ami en Virginie et je ne peux tout simplement pas consulter le contenu des rayons de ma bibliothèque afin qu’elle me serve d’aide-mémoire) . (Et venant juste de terminer le premier roman de Simon Tolkien je peux dire que si second roman est aussi bon il pourrait se retrouver dans cette liste. )  

Il est difficile de savoir si on doit considérer Steven Taylor comme un écrivain de policiers ou de romans historiques ; de même, la brillante épopée Arthurienne de Jack White semble plus tenir de l’Histoire que de la Fantasy. Dans les deux cas, j’achète leurs livres dès qu’ils sont sortent et m’insurge du long délai qu’ils mettent à produire le suivant. 

Parmi les écrivains classiques, j’accorde ma préférence à ceux qui sont les moins académiques et les plus réalistes, qui écrivent à propos des gens ordinaires qui vivent en famille (Je trouve que la fiction classique consacrée aux héros “artistiques” qui ne s’insèrent pas, ne vivent pas parmi les gens ordinaires qui les entourent est aussi ennuyeuse et répétitive que les pires romans d’amour stéréotypés) . Alors ma liste d’auteurs préférés est nécessairement courte : Richard Russo, Ann Tyler, Tobias Wolff. 

J’échantillonne parmi les autres genres littéraires de temps à autres, mais je n’ai aucun auteur préféré dont j’achète et lis les oeuvres sans hésitation. 

Ceci étant dit, je dois préciser que la plupart de mes lectures, et par une bonne marge, ne se situent pas du tout dans le domaine de la fiction. J’ai toujours eu une attirance pour l’Histoire et les biographies, passant à travers au moins un livre relevant de chacun de ses domaines par semaine, et je lis également des livres sur la science contemporaine, les sujets et problèmes politiques et quoique ce soit d’autre qui rejoigne mes goûts. Chaque fois que je m’aperçois d’une lacune dans mon éducation ou mes connaissances, je déniche un livre (si cela m’est possible) pour m’aider à la combler. Et ces lectures de livres au contenu non fictif sont bien plus importants pour mon écriture qu’aucune des fictions que je lis.

 

 

PdM : Est-ce qu’ils influencent vos choix d’auteur ?

O. S. C. : Je n’essaie pas de découvrir comment mes lectures influencent mon écriture. Je prends pour acquis qu’elles le font, et laisse les étudiants diplômés chercher à découvrir de quelle manière exactement cela se produit.

 

 

PdM : Quel est l’importance, le poids de vos convictions personnelles, quelles qu’elles soient, dans vos oeuvres ?  

O. S. C. : Aucun écrivain ne peut échapper à ses propres croyances. Parmi les milliers de choix inconscients que nous faisons au sujet de comment un monde inventé fonctionne, à la fois pratiquement et moralement, nous révélons nos propres croyances cachées concernant le monde dans lequel nous vivons. Alors, je prends pour acquis que mes histoires révélerons complètement ma vision du monde, à condition qu’on leur en donne suffisamment le temps, et pour cette raison je ne fais aucun effort pour mettre de l’avant quelque croyance personnelle consciente que ce soit.  Au lieu de cela, je me concentre sur la découverte de ce que je pense que chaque personnage devrait croire alors, et j’explore ses convictions et comment elles donnent forme à sa vie.

 

 

PdM : Parmi toutes vos oeuvres, vous avez écrit quelques romans uchroniques : pourquoi portez-vous tant d’intérêt à ce genre ? 

O. S. C. : En fait, je n’en ai seulement écrit que deux : L'Observatoire du Temps 1: La rédemption de Christophe Colomb et Les Chroniques D’Alvin Le Faiseur. Mais parce que l’histoire d’Alvin Maker s’étend maintenant à travers cinq volumes et en comptera bientôt deux de plus, il peut sembler qu’une bonne partie de ma fiction relève de l’Uchronie. 

L’Uchronie, bien entendu, repose sur deux prémisses : (1) que de petits changements qui se produisent à des moments clés transformeraient toute l’histoire qui suivrait, et (2) que dans un monde ainsi transformé, il devrait encore y avoir des êtres humains qui seraient suffisamment reconnaissables, tout de même, comme personnes dans cette autre version de l’Histoire. La première prémisse peut être vrai, mais si c’est le cas, de tels moments sont rares ; la deuxième prémisse est tout simplement absurde. Les livres de L’Observatoire Du Temps n’admettent tout simplement pas l’absurde deuxième prémisse ; les livres d’Alvin Maker le font, parce que c’est le jeu auquel je joue, puisque les livres d’Alvin Maker sont, de plusieurs manières, une réinterprétation éclairante de l’Histoire Américaine, il me serait impossible d’accomplir mon dessein sans des personnages qui sont, de manière identifiable, “les mêmes” que ceux qu’ils étaient déjà en tant que personnages de notre véritable passé.

 

 

PdM : Est-ce que Les Chroniques D’Alvin Le Faiseur sont une parabole de la vie de Joseph Smith, ou une adaptation du Livre Des Mormons ? 

La série de la Terre Des Origines puisent largement leur scénario dans le Livre De Mormon -- c’est ce que j’avais proposé de faire à mon éditeur Américain en tout premier lieu, d’écrire une nouvelle version, science fictionnelle, du Livre De Mormon à peu près de la même manière qu’Evangeline Walton et Lloyd Alexander ont chacun mis en fiction le Mabinogion. 

La série d’Alvin Maker se promène librement à travers une version alternative de l’Histoire Américaine, mais les événements clés de la vie d’Alvin sont basés sur les événements clés de la vie de Joseph Smith. De cette manière, je suis libre d’explorer des événements personnels de sa vie sans avoir à me préoccuper des communautés religieuses qu’il a fondées (en rapport avec ces sujets, j’ai écrit le roman Saints) ; mais les références “Mormones” sont plus un clin d’oeil à mes lecteurs Mormons que quelque espèce de thème important dans les livres. Vous n’avez pas à savoir quoi que ce soit sur le ou vous préoccuper en aucune façon du Mormonisme ou de Joseph Smith pour recueillir toute la valeur de ces livres -- mais vous devez vous y connaître un peu pour ce qui est de l’histoire et la culture Américaines et du rôle de l’Amérique dans le monde pour suivre vraiment ce qui se passe dans les livres sur Alvin.

 

 

PdM : Alvin prend souvent position contre l’intolérance (l’intolérance religieuse, l’esclavage, le massacre des Indiens d’Amérique) : Faut-il y voir un message ? En d’autres mots, pensez-vous que la conquête de l’Amérique marque les colons Blancs arrivants d’une faute, comparable à celle d’Eve dans le Jardin d’Éden, après qu’elle ait goûté au fruit défendu ? 

O. S. C. : C’est une question merveilleusement compliquée qui prend appui sur de nombreuses présomptions. En premier lieu, je ne crois pas qu’Eve ou ses descendants étaient marqués d’une faute parce qu’elle avait goûté le fruit défendu, ce qui démolit plutôt cette analogie. En second lieu, bien que la religion fut une question de tolérance contre l’intolérance dans l’histoire Américaine, il m’est difficile de penser que l’on puisse considérer le sujet du massacre des Indiens ou de l’esclavage des noirs comme des questions relevant de “l’intolérance” .  En effet, s’il y a bien une chose, c’est qu’Alvin ne tolère ni l’esclavage, ni le meurtre des Indiens, alors on devrait pouvoir dire qu’Alvin favorise la tolérance pour certaines choses, et l’intolérance pour certaines autres.  Mais, bien entendu, cela est vrai de chacun de nous. Il est impossible d’être “tolérant” en général, parce que la tolérance d’une chose est souvent, par définition, l’intolérance d’une autre. Nous différons, non dans nos degrés “d’intolérance” , mais plutôt dans nos listes de ce qui est tolérable et de ce qui ne l’est pas. 

Pour ce qui est de passer un jugement moral au sujet de la “conquête de l’Amérique” , je préférerais plutôt ne dire seulement que ceci : Il y eut des actes individuels qui étaient illégaux et immoraux et, souvent catégoriquement mauvais de la part des deux parties en présence ; il y avait des forces et des pressions sociales des deux côtés qui conduisirent à un conflit inévitable ; et le fait que la société Européenne ait triomphé ne dépend pas du fait qu’elle était plus mauvaise, mais plutôt qu’elle était plus efficace et puissante pour ce qui est de pouvoir imposer sa volonté -- et cela pour des raisons relatives aux histoires, ressources et cultures différentes des deux parties dans ce conflit entre civilisations. 

La seule manière de faire porter entièrement le blâme à un seul parti est de traiter le parti “sans reproche” comme s’il n’était pas vraiment pleinement de nature humaine et que, par conséquent, il ne puisse être jugé à la mesure de quelque espèce de standard moral que ce soit. Des atrocités indicibles furent commises des deux côtés ; des actes d’un courage et d’une générosité considérables furent commis des deux côtés ; et des actes d’une stupidité incroyable furent commis des deux côtés. Mais la culture qui fut la plus efficace en ce qui concerne la protection de ses propres citoyens tout en leur fournissant le plus de ressources fut alors, comme dans tous les autres cas semblables, la culture qui triompha, que ce soit par des moyens honnêtes ou fourbes. Nous en apprenons plus concernant tout cela par la lecture de Guns, Germs, And Steel de Jared Diamond que par celles qui concernent le Jardin D’Éden. 

Le fait que la civilisation Européenne en sortit vainqueur n’a aucun rapport avec le fait qu’elle aurait été moralement meilleure ou pire, mais simplement avec le fait qu’elle était plus puissante et efficace.

 

 

PdM : Alvin semble à la recherche d’une espèce “d’innocence perdue” : faut-il y voir une sorte de parabole sur l’histoire des Etats-Unis. ? 

O. S. C. : Je ne saisis même pas ce que vous voulez dire par là. Cela me semble être un “thème” et je ne présente pas de “thèmes” dans ma fiction, seulement les problèmes auxquels mes personnages doivent faire face et qu’ils doivent surmonter du mieux qu’ils le peuvent.

 

 

PdM : Pourquoi avez-vous introduit Balzac comme personnage de  la série "Alvin" ? Ou encore la figure de Jean-Jacques Audubon ? Aimez-vous à ce point la France ? 

O. S. C. : Oui, j’aime beaucoup la France. Mais il est également important de se rappeler que la France et les États-Unis ont eu une influence profonde l’un sur l’autre durant les premières années formatrices de l’Amérique -- particulièrement quand nous étions brouillés avec la Grande-Bretagne -- et que raconter l’histoire de l’Amérique sans y réserver un rôle important à la France ne rimerait à rien. La France était, culturellement parlant, la nation dominante à cette époque ; Angleterre ne faisait que commencer à prendre sa place en tant que puissance dominante sur la surface de la Terre, et la domination de l’Amérique se trouvait encore à près d’un siècle de distance.  

Mais Balzac se serait retrouvé dans le livre de toutes manières, parce que c’est un personnage si extraordinaire.

 

 

PdM : Et s’il vous deviez écrire un jour une nouvelle uchronique sur la France, quelle période choisiriez-vous? 

O. S. C. : Je suis au travail sur une nouvelle qui donne l’occasion à l’armée Française de s’adapter aux et d’apprendre les tactiques Allemandes utilisées durant la Première Guerre Mondiale dès le début de celle-ci, évitant ainsi les boucheries dévastatrices et inutiles des troupes Françaises et Britanniques et rendant l’entrée en guerre des États-Unis superflue. Le monde serait alors devenu un endroit très différent, ne croyez-vous pas? 

 

 

P. M. : Comment Les Chroniques D’Alvin Le Faiseur vont elles évoluer ? Combien de livres encore ? Quand seront-ils disponibles ? 

O. S. C. : Je travaille sur The Crystal City en ce moment même. Cela devrait paraître en Amérique sur la fin de l’automne 2003.  Il y a aura un livre de plus après cela, titré Master Alvin. À la fin de ce livre, Alvin sera décédé alors, par définition, il n’y aura plus de livres se rapportant à Alvin. 

Il y a également une couple de longues nouvelles consacrées à Alvin, l’une au titre de “L’Homme-Au-Grand-sourire” qui a été publiée dans l’anthologie Légendes de Robert Silverberg et l’autre intitulée “The Yazoo Queen” qui sera publiée dans Legends II de Silverberg. Je crois qu’elles constituent certaines des meilleures nouvelles que j’ai jamais écrites -- assurément certaines des plus amusantes et divertissantes. Le jeu auquel je me suis livré avec elles consiste à faire qu’Alvin rencontre quelqu’un d’important ou de légendaire dans l’Histoire Américaine. Dans “L’Homme-Au-Grand-sourire” Alvin fait la connaissance de Davy Crockett ; dans “The Yazoo Queen” il rencontre Jim Bowie et Abraham Lincoln. 

 

 

PdM : Pour quelles raisons vous êtes-vous intéressé à Christophe Colomb ? Dans L'Observatoire du Temps 1: La rédemption de Christophe Colomb il me semble que vous montrez que la conquête du Nouveau Monde aurait pu créer une monde plus équilibré et peut-être plus juste. Ai-je raison ? 

J’ai écrit L'Observatoire du Temps 1: La rédemption de Christophe Colomb principalement parce que je me sentais tellement dégoûté par la stupidité de ceux qui ont condamné Colomb comme étant une sorte d’Hitler du quinzième siècle. Tout ce qu’ils ont montré ainsi c’est qu’ils étaient encore plus culturellement aveugles que Colomb ne le fut, alors qu’ils avaient la prétention de juger Colomb selon des standards moraux dont il n’avait jamais entendu parler et qu’il n’aurait jamais compris. 

Je crois que Colomb était un grand homme -- et tout aussi imparfait (et intéressant) que les autres grands hommes. Et bien que l’impact du choc des civilisations entre l’Europe et l’Amérique ait eu des conséquences de loin beaucoup plus dévastatrices pour les premiers habitants de l’Amérique que pour les Européens, ce n’était pas parce que les membres des Premières Nations n’étaient que toute douceur, gentillesse et innocence alors que les Européens étaient tous uniformément mauvais et cherchaient à les détruire. (il nous a fallu attendre Hitler et Staline, Pol Pot et Saddam Hussein pour découvrir des méthodes de génocide réellement efficaces) . 

Au contraire, le point faible fondamental qui a amené les pires actes de méchanceté fut toujours présent dans la nature humaine : il s’agit de la capacité de considérer les êtres humains qui ne font pas partie de notre propre tribu comme des monstres ou des animaux dénués de tous droits ou de qualités rédemptrices. Vous savez -- la manière dont les gens politiquement corrects considèrent Colomb, ou la manière dont les Français dépeignent aujourd’hui le président Américain le plus modéré et les plus honnête de ces derniers temps. Si vous pouvez vous persuader vous-même que votre ennemi n’est pas humain, alors il n’y a aucune conséquence morale à tout ce que vous choisiriez de lui faire, n’est-ce pas (En français dans le texte original. )

Il n’y a que les sociétés humaines qui soient en mesure d’adopter cette attitude envers d’autres humains. Et toutes les fois que l'on considère les autres humains comme des êtres inférieurs ou comme des monstres, alors leur élimination passent pour acceptables. 

Bien entendu, parfois des êtres humains sont des monstres et doivent réellement être arrêtés avant qu’ils n’étendent leur contrôle plus loin qu’ils ne l’ont déjà fait ; quelques fois les braves gens doivent vraiment reconnaître le mal et y mettre un terme. Je crois que la plupart des Français seraient d’accord sur le fait qu’Hitler et le système qu’il avait mis en place étaient réellement maléfiques et devaient être arrêtés, même si cela signifiait tuer de nombreux citoyens Allemands personnellement innocents et d’autres spectateurs infortunés. Et l’histoire Russe n’aurait-elle pas été meilleure et plus heureuse si Lénine et Staline avaient été arrêtés avant qu’ils ne soient en mesure de tuer tant de millions de citoyens Russes ? Est-ce que quiconque peut sérieusement dire qu’il aurait été immoral d’empêcher Pol Pot, même par la force, de prendre le contrôle du Cambodge ? 

En effet, quand vous examinez, disons, le génocide rwandais d’il y a quelques années, ce crime monstrueux fut possible uniquement parce que les Hutus furent en mesure de considérer les Tutsis comme étant des monstres méritant la mort -- et parce que les dirigeants Américains et Européens furent capables de considérer les Tutsis comme étant des êtres inférieurs qui ne valaient pas la peine d’être sauvés. 

En ce moment, l’Amérique croit que Saddam Hussein et le système qu’il a mis en place en Irak sont effectivement des monstres qui doivent être arrêtés ; alors que les gouvernements et de nombreuses personnes en France et en Allemagne semblent avoir conclu que les gens ordinaires d’Irak, aussi bien que les victimes de futures aventures de Saddam dans d’autres pays, ne sont que des quantités négligeables qui ne valent pas la peine d’être sauvés. Je crois que nous avons plus de preuves que Saddam est un monstre que vous n’en avez que ses victimes sont sans valeur -- mais ce qui est certain c’est qu’aucune des parties n’a “dépassé” la déshumanisation des autres êtres. Et on pourrait soutenir que tant tous les humains n’auront pas dépassé la déshumanisation des autres, personne ne pourra se permettre de l’être, pour la raison que, si seul le mal est prêt à tuer pour atteindre ses buts, alors bientôt seul le mal dominera. Ce n’est pas le fait de tuer qui détermine qui est bon ou mauvais, mais plutôt le motif et le résultat. Ainsi que toute société qui a survécu à la Seconde Mondiale doit le savoir et s’en souvenir.

 

 

PdM : Quand nous nous sommes rencontrés à Poitiers en 1999, vous m’aviez dit que L'Observatoire du Temps 1: La rédemption de Christophe Colomb comprendrait deux nouveaux romans, l'un consacré à "Noé" et l'autre à "Adam et Eve". Qu’en est-il de ces romans ? 

O. S. C. : Ils relèvent toujours du futur -- Je me concentre sur les romans de “Shadow” et d’ “Alvin” présentement.

 

 

PdM : Sur le site http://www.hatrack.com, vous écrivez deux colonnes hebdomadaires, “Uncle Orson Reviews Everything” et “War Watch” . Qu’est-ce que ces colonnes signifient pour vous? Pensez-vous qu’il soit nécessaire pour une “personne publique” de donner son opinion ? 

O. S. C. : Étant donné que je ne me sers pas de ma fiction pour mettre de l’avant mes vues (sauf de manière inconsciente) , alors le meilleur moyen de m’empêcher d’ennuyer mes amis en leur déclamant constamment mes opinions c’est de les écrire et de les mettre en ligne, où ils peuvent les lire ou pas, comme ils le choisiront. 

Je ne sais pas si j’ai raison dans ces opinions, mais je suis parvenu à ces opinions après beaucoup d’étude et beaucoup de réflexion, et si j’ai tort ce n’est pas parce que je ne me suis pas préoccupé de bien y réfléchir pour mon propre compte. Comme plusieurs de ceux qui sont en désaccord avec moi expriment leurs opinions, alors je crois que j’ai une obligation de mettre de l’avant mes raisonnements afin que, peut-être, je puisse avoir une petite influence quelconque sur la pensée des autres pendant qu’ils se démènent pour se faire leur propre idée. Bien entendu, ceux dont les vues sont arrêtées sont au-delà cette influence -- mais je n’écris pas pour eux.

 

 

PdM : Que pensez-vous de la situation mondiale? Que vous inspire cette année 2003? Quels sont vos souhaits ? 

Je crois que, pour la raison que seule l’Amérique a le pouvoir d’empêcher des armes terribles de tomber dans les mains de ceux qui seraient avides de tuer des gens innocents afin de forcer les autres à accomplir leurs volontés, alors l’Amérique a la responsabilité d’agir. Toutefois le véritable réquisitoire que l’on peut faire contre l’Amérique aujourd’hui c’est que les régimes destructeurs et pleins de haine en Irak et en Corée du Nord sont déjà allés si loin dans leur recherche d’armes terribles qu’ils peuvent terrifier les autres au point de les faire obéir à leurs ordres.  

La France n’a volontairement pas exploité la puissance militaire pour agir contre de mauvais régimes criminels comme ceux dirigeant l’Irak et la Corée du Nord ; mais la France a cette puissance, et éprouve la responsabilité  d’intervenir militairement dans des situations récentes en Afrique où des crimes horribles ont été commis. Le principe est le même, et des Américains comme moi ont beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi la France, qui prend ses responsabilités humanitaires sérieusement quand il est question de ses anciennes colonies, travaille si frénétiquement à empêcher l’Amérique, la seule nation qui peut arrêter Saddam, de le réduire à l’impuissance. Les existences des gens de l’Irak qui ont déjà été assassinés par  centaines de milliers par leur “dirigeant” -- et les existences des inévitables futures victimes de Saddam en Israël et dans les autres nations du Moyen-Orient --- sont-elles si dénuées de valeur et négligeables aux yeux des Français ? 

Mon pire cauchemar pour 2003 serait que la France, la Russie et l’Allemagne créent une coalition permanente dans le but de préserver les mauvais gouvernements qui développent des armes de destruction massive, oppressent haineusement leur propre population et cherchent à opprimer la population d’autres territoires. Que les gouvernements de France, Russie et Allemagne agissent délibérément et précisément comme Neville Chamberlain l’a fait dans les années 30 est impensable, et pourtant c’est ce qui est en train d’arriver. Alors je peux seulement anticiper que la haine et les ressentiment de l’Amérique sera si grand que la France, la Russie, et l’Allemagne adopteront et protégeront volontairement le mal dans le but d’enfoncer leur pouce dans l’oeil de l’Amérique. Ce que cela présage pour le future est insoutenable à contempler. Une telle mesquine rivalité internationale est à un niveau de folie et de bêtise qui n’est comparable qu’à celui de l’Europe de 1914.  

Pour paraphraser Burke : Pour que les mauvaises nations dirigent le monde, il n’est seulement nécessaire que les bonnes nations ne fassent rien. Et ne rien faire semble être la politique de la France -- ou, plutôt, la politique de la France en ce qui concerne les États-Unis, puisque, bien entendu, la politique de la France en ce qui concerne la France est d’intervenir quand il lui plaît.  

Mon souhait est que les grandes nations du monde prennent leurs responsabilités sérieusement, et traitent les peuples opprimés du monde avec la même compassion que, disons, celle dont l’Amérique fit preuve envers la France en 1944. Plusieurs civils Français innocents périrent pendant que les troupes Américaines et Britanniques envahissaient la France, mais cela fut accepté comme le prix d’une libération vivement désirée. Quelqu’un suppose-t-il que les gens en Irak ne sont pas assez intelligents pour comprendre le coût de la liberté, ou que leur liberté est moins digne de sacrifice que la liberté des Français ? 

Il n’est nulle société ou culture sur Terre qui n’adopteraient un gouvernement libre et autonome si on lui en donnait la chance ; et ceux d’entre nous qui profitent déjà d’une telle liberté ont la responsabilité de la répandre chaque fois qu’ils le peuvent. Je suis honteux que les dirigeants Américains aient si souvent oublié cela ces dernières années. Je crois que le peuple Français devrait avoir honte quand ses dirigeants, eux aussi, l’oublient. Mais peut-être terminerons-nous cette année, ou l’année prochaine, au moins, comme deux nations dont les dirigeants et les peuples se rappelleront que, parfois, la liberté mérite que l’on meure pour elle -- et que la décence exige parfois que les gens d’un pays fasse le sacrifice de leurs vies afin de libérer les gens d’un autre.

 

 

PdM : Quel sera votre prochain livre publié en France ? 

O. S. C. : Je sais que mes merveilleux éditeurs Français sortent mes livres aussitôt qu’ils peuvent être traduits. Je suis conscient que seulement un petit nombre de mes livres demeurent inédits en France -- et j’ai de grands espoirs que ceux-là, eux aussi, auront une chance de trouver une audience Française.

 

 

PdM : Vous travaillez sur un scénario basé sur La Stratégie Ender : quand le film sera-t-il réalisé et quand sortira-t-il ? 

O. S. C. : Son réalisateur, Wolfgang Petersen, travaille présentement à un film sur la Guerre de Troie. Nous espérons que le scénario de La Stratégie Ender sera complètement écrit et prêt à être tourné quand il en aura terminé avec ce projet. Mais rien n’est jamais certain à Hollywood.      

 


 

Interview réalisée en mars 2003 © Pedro Mota. Traduite par René Beaulieu

 

PdM

 

© La Porte des Mondes et Icarus
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