Auteur d'une œuvre considérable, Michael Moorcock, né en
1939, a construit un univers littéraire articulé autour de plusieurs cycles
interdépendants, mélangeant différents aspects de la science-fiction et de la
fantasy, genre dont il a écrit l'une des œuvres les plus célèbres, La saga d'Elric
le nécromancien.
La page
de Michael Moorcock sur le site de la nooSFère .
La Porte des Mondes: Quand avez-vous
commencé à écrire ?
Michael Moorcock: Depuis l’âge de cinq
ans environ. Je produisais mes nouvelles et ma revue vers huit, neuf ans.
PdM: Comment êtes-vous devenu écrivain ?
M.M.: Je ne parviens pas à me souvenir avoir
un seul instant pensé ne pas être écrivain, cependant je m’étais aussi réservé
les possibilités d’être musicien et comédien.
PdM: Quels
sont vos auteurs préférés dans tous les sous genres ?
M.M.: Je penche par défaut vers Elizabeth
Bowen, Henry Green et Angus Wilson qui écrivent des romans sociaux modernes. Je
suis toujours enthousiaste à la lecture de Mervyn Peake et de Leigh Brackett qui
reste sans doute mon auteur favori en Science Fantasy. Elle a aussi écrit des
scripts pour le cinéma ( auteur remarquable du « Grand Sommeil » par exemple) et
influencé les goûts de Bradbury. Presque tous les genres me plaisent, quoique je
ne lise pas beaucoup d’histoire de Privés - comme Hammett, Chandler, Allingham,
Mosley – et je lis en ce moment un grand roman de pirates de 1927, Moonraker de
F. Tennyson Jesse. Un de mes écrivains préférés est Ronald Firbank. Ezra Pound,
et Dylan Thomas du côté des poètes.
PdM: Ont-ils influencé vos choix d’auteur ?
M.M.: Non, je ne crois pas.
PdM: Pourquoi avoir choisi d’écrire de la SF ?
M.M.: A l’époque cela manquait, comme le Rock’n’roll, pas le moindre corps de
critique et tu pouvais faire les deux sans te sentir intimidé – elle offrait un
espace d’invention et d’innovation ! Elle semblait aussi la meilleure forme pour
essayer d’associer les fictions populaires et les intellectuelles . Je dois
cependant ajouter que j’ai écrit très peu de Science-Fiction. La majeure partie
de mes écrits relève vraisemblablement plus de la Science-Fantasy ou de la
simple Fantasy.
PdM: Qu’est-ce
qui vous intéresse particulièrement dans l’écriture SF ?
M.M.: Les images
qui peuvent servir aussi bien les personnages que les idées.
PdM: Est-ce que vous vous considérez
surtout comme un auteur de Fantasy ou simplement comme un penseur et un écrivain
qui a trouvé le meilleur genre pour exprimer ses idées ?
M.M.: Je me considère comme un écrivain.
J’ai écrit dans presque tous les genres, mais mes livres de fantasy se sont
révélés les plus populaires. Cela a quelque peu changé ces dernières années
quand des livres comme
Mother London sont devenus de plus en plus populaires.
J’ai utilisé des éléments de fiction générique dans un certain nombre de livres
que je ne considère pas autrement que comme génériques. Les histoires de Jerry Cornelius par exemple.
PdM: Quels
sont vos thèmes de prédilection ?
M.M.: Je soupçonne
que j’ai tendance à revenir aux notions d’Impérialisme pour utiliser ma propre
vision de l’effondrement de l’Empire Britannique et de la croissance de l’Empire
Américain.
PdM: Vous avez, entre autres, écrit
quelques unes des plus célèbres uchronies comme la série
Les aventures uchroniques de Oswald Bastable
(Le nomade du temps) ,
Gloriana. Pourquoi un tel intérêt pour l’uchronie ?
M.M.: Lorsque j’ai
écrit la série Oswald Bastable ce n’était pas de l’uchronie, c’était juste un
ou deux livres par auteur comme L. Sprague de Camp. J’ai vu les Bastable comme un
moyen de projeter les idées impériales d’Edouard dans le futur, pour traiter
des fictions impérialistes façon Conrad et Kipling. Ce genre de fiction est
mieux défini par le terme intervention, je crois. Gloriana était un dialogue,
si vous préférez, entre Spenser de The Faerie Queen et sa notion de
monarque comme représentant de l’état (L’Etat c’est moi…). J’argumentais avec ses
notions de chevalerie.
PdM: Comment avez-vous bâti les mondes
de la série « Oswald Bastable » ?Avez-vous utilisé une documentation ou votre
seule imagination ?
M.M.: Je ne suis pas vraiment un bâtisseur
de monde et je ne l’ai jamais été. J’essaye d’utiliser des images pratiques, qui
renvoient aux thèmes et aux personnages dont je me sers.
PdM: Cette série a été régulièrement rééditée au fil des ans aux Etats-Unis, en
Grande Bretagne et en France : vous attendiez-vous à un tel succès ?
M.M.: Non, je n’attends jamais le succès !
En fait, je suis chaque fois préparé à l’échec. C’est toujours une agréable
surprise si votre livre marche…
PdM: Avec la série d’Oswald Bastable
quelques spécialistes de SF vous ont présenté récemment comme le fondateur du
steampunk, ou d'un "pré-steampunk". Qu’en pensez-vous ?
M.M.: Je pense qu’ils ont probablement
raison, bien que mes intentions, comme je l’ai dit, étaient de confronter des
idées politiques – l’idée d’un empire « aimable ». Je ne crois pas que vous
puissiez vraiment trouver des empires aimables.
PdM: Avec Gloriana vous avez écrit un
livre quelque peu différent de votre production habituelle. Quelles étaient vos
intentions ?
M.M.: C’était quelque chose comme un hommage
à Mervyn Peake – i.e. le seul auteur qui m’entraîna dans le fantastique comme
support. J’ai senti que je devais essayer d’écrire un livre qui fasse écho à son
ambition.
PdM: Gloriana est une histoire
absolument fantastique et splendide, dans laquelle vous réécrivez l’histoire
d’Elizabeth Première, ajoutant certains aspects tels que la violence, la
cruauté, l’amour, la passion et le sexe. Dans un certain sens Gloriana aurait
pu être écrite au 18ème siècle par un auteur libertin comme Sade.
Quelle était votre intention en l’écrivant de la sorte ?
M.M.: Vraiment, je m’imaginais écrivant
cette histoire dans le style 17ème – l’anglais dérive principalement
de la fin 17ème . Je suppose que je pensais aussi au drame Jacobéen.
PdM: Gloriana est un merveilleux personnage, pétri de contradictions, partagé entre ses charges officielles de
reine et sa quête d’amour et de satisfaction sexuelle: était-ce que le personnage
fut difficile à créer ?
M.M.: Non, elle est largement basée sur une
maîtresse aristocrate que j’ai eue dans les années 70 ! Elle fut ma première
« image » de Gloriana.
PdM:
Voici l'homme vient récemment
d’être réédité en France ( 2001). Dans cette histoire vous donnez une vision
particulière et quelque peu irrévérencieuse de Jésus Christ ? Qu’est-ce qui vous a
poussé à traiter ce thème ?
M.M.: J’avais une éducation parfaitement
laïque et je n’ai pas pris conscience que l’histoire allait devenir aussi
controversée qu’elle l’est. N’ayant eu aucune éducation religieuse ce qui
m’intéressait c’était d’écrire sur la façon dont la foule se donne des
démagogues et il me semblait que JC était le plus évident et le plus influent
d’entre eux.
PdM: Comment le livre est-il reçu aux
Etats-Unis ?
M.M.: Il continue d’offenser certaines
factions de Baptistes mais commence à être bien reçu par les Catholiques.
Certains Baptistes texans ont offert de me tuer pour me punir d’avoir échoué à
être un bon chrétien…
PdM: Quels sont vos projets, sur quoi
travaillez-vous ?
M.M.: Je complète une trilogie sur Elric qui
entreprend d’affronter et de vaincre certains des éléments fascistes de ce genre
de Fantasy. La plupart de mes romans implique certaines formes d’ingérence de ce
genre et elles sont bien conçues comme interventions. J’écris aussi une
biographie de Mervyn et Maeve Peake, intitulée « Love » et je termine le
dernier livre de ma série Pyat (Byzantium Endures, The Laughter of
Carthage, Jerusalem Commands, The Vengeance of Rome) qui essaye de cerner les
origines de l’Holocauste nazi en Europe en Amérique et au Moyen Orient. Ce livre
se situe principalement en Italie et en Allemagne pendant les dictatures et
s’intitule The Vengeance of Rome. Le dernier Elric (La fille du voleur de
rêves – The Skrayling tree) aura pour titre The White Wolf’s son et s’ouvre
dans ma vieille maison de la vallée du Yorkshire. Dans cette série j’ai
rapproché autant que j’ai pu Elric (et l’éternel champion des romans de Fantasy)
de notre époque.
PdM: Que pensez de la Science-Fiction
actuelle, et de la littérature en général ?
M.M.: Je ne lis pas beaucoup de SF et je
n’aime pas beaucoup les films de SF, je crois cependant qu’il en existe certains
de bons. Je suis très optimiste en ce qui concerne la SF et la Fantasy qui
deviennent incroyablement idiosyncrasiques et tirent le meilleur d’elles-mêmes
non du fond général mais de plus en plus d’idées et d’images personnelles. J’ai
vu émerger pas mal de nouveaux écrivains de talent : China Mieville, Jeffey
Ford, Jeff VanderMeer et K.L. Bishop. J’admire aussi beaucoup Zoran Zivkovic, le
Serbe merveilleux.
PdM: Et de la situation dans le monde ?
M.M.: Gulp ! C’est la meilleure de tous les
temps. C’est la pire de tous les temps ! J’essaye d’affronter et de rire du
pire de notre époque dans mes histoires de Jerry Cornelius, dans lesquelles je
joue toujours de la situation mondiale. La plus récente ( jouant avec le 11
septembre et l’impérialisme US) est Firing the Cathedral La vie pourrait
être pire pour les mâles blancs de la classe moyenne, mais elle a souvent
tendance à s’améliorer pour les autres.
Michael Moorcock
Interview réalisée en novembre 2003
© Pedro Mota.
Merci à Noé Gaillard pour son
aide .... PdM |