On ne présente plus Robert Silverberg. Il est
incontestablement l'un des auteurs majeurs de la science-fiction. Il a écrit des
centaines de textes, dont beaucoup d'uchronies
et de textes se rapportant aux
univers
parallèles. La Porte des Mondes vous
propose cette interview exclusive d'un des maîtres de la science-fiction.
La page
de Robert Silverberg sur le site de la nooSFère .
La Porte des Mondes: En tout premier lieu, est-ce que vous m'autorisez à utiliser la
traduction française du titre d'un de vos romans, La
porte des mondes, pour mon site, comme un hommage et un clin d'oeil à l'une des plus célèbres uchronies?
Robert Silverberg :
Oui, bien sûr.
PdM : Vous avez écrit des centaines de textes, et les thèmes des
Voyages dans le temps
et des Univers Parallèles
reviennent souvent ? Pourquoi ces thèmes là vous
attirent-ils autant?
R.S: Parce qu'ils démontrent l'infinité des possibilités spéculatives de la
science-fiction.
PdM : Le premier livre que vous ayez lu, d'après ce que je sais, fut
La machine à explorer le temps de H.G. Wells. Est-ce que ce livre
a contribué à votre intérêt pour les fictions temporelles? Vous êtes certainement
l'auteur qui a le plus exploré ce thème, avez-vous rêvé de devenir historien?
R.S.: Je n'ai jamais voulu être historien, mais je me suis
vraiment intéressé à l'archéologie et à la paléontologie dans ma jeunesse, et cela
a fortement favorisé mon attrait pour les fictions temporelles. Mon intérêt pour
l'uchronie est quant à lui moins relié à cet aspect
: c'est davantage un jeu de l'esprit qu'une exploration de l'histoire
PdM : Est-ce que le travail que vous avez fait sur le mythe de
Gilgamesh
était lié à cet intérêt? Pourquoi avez-vous choisi ce thème?
R.S.:
Gilgamesh est l'un des plus importants mythes de
l'humanité - l'histoire de la quête de l'Immortalité. Je ne vois pas de lien
entre mon intérêt pour ce mythe et celui pour les univers parallèles et les
voyages dans le temps.
PdM : Il est tout de même relié à
votre intérêt pour le temps et l'Histoire. Pourquoi avoir écrit sur ce mythe qui
peut difficilement être considéré comme de la science-fiction?
R.S.: La quête de l'Immortalité est sans aucun doute un thème
de science-fiction.
PdM : Comment vous est venue l'idée de La
porte des mondes ? Pourquoi
avez-vous choisi cette période en particulier?
R.S.: Il m'a semblé que cela pouvait être un bon point de
départ pour une uchronie: si j'émet l'hypothèse que la Peste Noire de 1348 a été
bien plus dévastatrice, je peux dès lors imaginer une invasion de l'Europe par
les Ottomans aux XIVe siècle. Cette divergence m'a paru intéressante
PdM : Pourquoi êtes-vous revenu sur cette
uchronie avec la nouvelle
Tombouctou
à l'heure du lion écrite en 1990 et qui se passe dans le même
univers uchronique?
R.S.:
J'avais au départ prévu une série de trois
romans se déroulant dans l'univers de la La
porte des mondes. Même si je n'ai jamais écrit les deuxième et troisième
romans, j'avais assez de documentation pour les écrire. J'ai eu envie d'y
revenir et d'utiliser une partie de cette documentation bien des années plus
tard dans Tombouctou
à l'heure du lion .
PdM : Comment avez-vous imaginé l'évolution de ce monde?
R.S.: J'ai commencé avec le postulat de départ et j'ai dès
lors imaginé les conséquences logiques et plausibles d'une telle divergence. Il
est possible d'extrapoler ce que serait devenu l'Europe sous domination
musulmane en faisant un parallèle avec la façon dont les Ottomans ont administré
leurs possessions au Moyen Orient durant leur période de grandeur.
PdM : L'historien français Claude Aziza a fait un parallèle
entre Dan Beauchamp, le héros de La
porte des mondes et le Candide de Voltaire.
Tous les deux entament leur apprentissage de la vie par la découverte d'un
nouveau monde. Qu'en pensez-vous?
R.S.: Il y a peut-être une similitude, mais cela n'a rien à
voir avec ma vision du roman. Voltaire écrivait une satire, alors que moi j'ai
écrit une fantaisie.
PdM : Vous devez certainement savoir que Kim Stanley Robinson a écrit un
livre, "The Years of Rice and Salt", ayant la même divergence. Qu'en pensez-vous?
R.S.: J'espère le lire plus tard dans l'année. Robinson et
moi sommes amis et je savais depuis longtemps qu'il écrivait un livre ayant la
même divergence. Mais évidemment il l'a développé bien au delà de ce que j'ai
fait dans mes deux textes. Ce que j'ai entendu dire de "The Year of Rice and
Salt" indique clairement qu'il s'agit là d'un roman majeur et j'attends avec
impatience de voir comment il a développé le thème.
PdM : Actuellement vous travaillez sur une série de nouvelles qui formeront le
cycle "Roma Eterna". Pourquoi avoir choisi l'empire romain? Pourquoi avoir
imaginé une telle divergence par rapport aux religions juives et chrétiennes?
S'agit-il d'un intérêt personnel?
R.S.: Encore une fois cela m'a paru être une divergence
intéressante. De nombreux spécialistes, en accord avec les théories de Gibbon,
considèrent que la Chrétienté a affaibli l'empire romain et l'a mené à son
déclin. En enlevant les Juifs de Palestine au moment de l'Exode, je supprime la
Chrétienté du monde romain douze siècles plus tard, dès lors je peux imaginer
les conséquences d'un tel manque. Il s'agit là d'une simple
mécanique historique, et non d'une quelconque philosophie personnelle.
PdM : Pourquoi avoir opté pour une série de
nouvelles plutôt qu'un seul roman. Pourquoi retracer des siècles d'Histoire dans
ce monde
uchronique?
R.S.: Parce que la meilleure façon de montrer
l'évolution de Rome durant ce qui correspond à notre Renaissance et notre Révolution
Industrielle était de la montrer sur plusieurs siècles. Comment aurais-je pu
montrer les transformations graduelles autrement?
PdM : Est-ce que "Roma Eterna" sera publié
en France?
R.S.: Oui. Les éditions Robert Laffont le publieront
l'année prochaine. (prévu fin 2003 - début 2004, NDLR)
PdM : Les éditions Flammarion proposent une
réédition de vos nouvelles. Ce qui démontre que vous demeurez un auteur
apprécié du public français. Qu'en pensez-vous?
R.S.: J'ai toujours eu une affection particulière pour
les lecteurs français. Parce que depuis des années, ils ont démontré une sincère
et profonde compréhension de mon oeuvre. Cela me fait plaisir de savoir que mes
textes sont à nouveau disponibles pour ces lecteurs dans la magnifique
collection "Imagine" de Flammarion.
PdM : Vous êtes l'invité d'honneur du
Festival Utopiales 2002 à Nantes. Attendez-vous quelque chose de spécial de la part
des lecteurs français au cours de ce Festival?
R.S.: Quelque chose de spécial? Je ne comprends pas. Je
n'attends de leur part que la chaleur et l'amitié qu'ils m'ont toujours témoignés
à l'occasion de mes voyages en France, rien de plus.
PdM : En tant qu'auteur de
science-fiction, avez vous jamais imaginé quelque chose d'aussi horrible que la
tragédie du 11 Septembre 2001? En tant qu'homme, et en tant qu'ancien
New-Yorkais, que ressentez-vous après une telle tragédie?
R.S.: Il est aisé d'imaginer des catastrophes bien plus
horribles, voire même la totale destruction de mondes, et j'en ai conçu bien des
fois dans mes histoires. Mais il est difficile d'imaginer une action aussi
irraisonnée, aussi injustifiée, aussi destructrice que l'attaque du World Trade
Center. Les conséquences se feront sentir pendant des années et conduiront à une
profonde restructuration et modernisation du monde islamique, tout comme la
Guerre Froide a complètement transformé le bloc soviétique.
Robert Silverberg.
Interview réalisée en septembre 2002
© Pedro Mota.
Merci à Fabienne Rose et à Jean-Daniel Brèque pour leur
aide .... PdM |