Robert Charles Wilson La porte des mondes

Darwinia (Darwinia, 1988)
Traduit par Michèle Charrier
1) Denoël coll. Lunes d'Encre  (2000) 
     374 pages      2-207-24938-7

2) Gallimard coll. Folio SF  (2003)

     444 pages      2-07-030284-9

Uchronie. Date de la divergence :  1912
Quatrième de couverture : 

Mars 1912, l'Europe et une partie de l'Angleterre disparaissent subitement, remplacés par un continent à la faune et à la flore non terrestres que l'on ne tarde pas à nommer la Darwinie. Pour l'enfant Guildford Law, cette tragédie n'est ni un miracle ni une punition divine, mais plutôt une énigme que la science pourra un jour résoudre. C'est fort de cette certitude qu'il sacrifie tout pour faire partie de la première grande expédition d'exploration destinée à s'enfoncer au coeur du continent inconnu. Là de mort violente en mort violente, tous les dangers et tous les secrets de la Darwinie  lui seront révélés.
Nominé au prestigieux prix Hugo en 1999, est une oeuvre d'une rare ambition, d'ores et déjà appelée à devenir un classique, qui nous ramène à l'époque où les savants étaient explorateurs et aventuriers.

Robert Charles Wilson, d'origine américaine mais vivant depuis longtemps au Canada, est né en 1953. Son livre Mysterium, récompensé par le Philip K. Dick Award, a eu un succès considérable en France. Parmi ses autres livres on citera Le Vaisseau des voyageurs et Les Fils du vent.

Critique
 
Telle que l'annoncent illustration et quatrième de couverture, le propos est déjà intéressant. Le remplacement de toute vie en Europe, un jour de 1912, l'année du Titanic, par une faune et une flore extraterrestres, et la lente exploration de ce monde. Avec ses baraques installées là où s'étendait Londres ou ses fragiles implantations continentales rappelant les factoreries curwoodiennes, Wilson renverse les histoires de notre pré-adolescence, situées dans l'Ouest sauvage ou le Grand Nord. Il fait aussi référence, de façon appuyée, aux romans martiens de Burroughs, et, implicitement, à Lovecraft, entre dieux chitineux et cité perdue non-humaine. Ce ne serait déjà pas mal, et ferait tout à fait bonne figure dans l'actuelle floraison de livres ancrés dans un avant-1914 (cf. dans ce même numéro, la critique des Chemins de l'espace, de Colin Greenland — où on retrouve Mars). Il ne s'agit pas de steampunk à proprement parler, mais on savoure le dépoussiérage des romans d'antan, entre exercice de style et hommage aux grands anciens. Les petites madeleines sont garanties à tous les étages, l'aventure aussi.
     On devrait s'arrêter là. Ne pas parler de la suite. Laisser le lecteur s'étonner quand il découvrira que cela ne s'arrête pas là, alors même que ce serait déjà plus qu'intéressant. Que si la référence à 1914 s'impose, c'est que le personnage principal, dans la réalité, dans notre réalité, est bel et bien mort durant la Première Guerre mondiale. Que derrière l'apparition soudaine de ce monde sauvage, il y a une explication aux dimensions plus que cosmogoniques, à côté desquelles Star Wars relève du minimalisme d'un film d'Éric Rohmer. Ou d'Ingmar Bergman. Que l'on y manie les années par paquets de dix mille millions, les noosphères galactiques, et une mort de l'univers replaçant John W. Campbell et Olaf Stapledon dans le carré des faits divers, le tout rendu accessible et évident par une analogie avec un incident toujours possible sur votre ordinateur, surtout équipé par Bill Gates. Et que si ce décollage ébouriffant relativise tout et nourrit une nostalgie explicite, voire une angoisse existentielle, il ne met pourtant pas fin à l'aventure — on s'offre même un siège avec tirs nourris, façon western, et un affrontement de fantômes incarnés, façon La Nuit des morts-vivants. Autant dire que du destin ultime de l'univers au sort individuel de son héros, le second nécessairement lié au premier, l'auteur joue sur bien des registres et des échelles différentes. Qu'on ne s'en plaindra pas. Qu'on en prend plein les yeux et plein les neurones. Que c'est grandiose. Et que vous feriez mieux de vous précipiter dessus. Sans délai.

Eric VIAL

Première parution : 1/6/2000
dans Galaxies 17
Mise en ligne le : 26/10/2001

 

© La Porte des Mondes et Icarus
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