Quatrième de couverture
:
Mars 1912, l'Europe et une partie de l'Angleterre
disparaissent subitement, remplacés par un continent à la
faune et à la flore non terrestres que l'on ne tarde pas à
nommer la Darwinie. Pour l'enfant Guildford Law, cette tragédie
n'est ni un miracle ni une punition divine, mais plutôt une énigme
que la science pourra un jour résoudre. C'est fort de cette certitude
qu'il sacrifie tout pour faire partie de la première grande expédition
d'exploration destinée à s'enfoncer au coeur du continent
inconnu. Là de mort violente en mort violente, tous les dangers
et tous les secrets de la Darwinie lui seront révélés.
Nominé au prestigieux prix Hugo en 1999,
est une oeuvre d'une rare ambition, d'ores et déjà appelée
à devenir un classique, qui nous ramène à l'époque
où les savants étaient explorateurs et aventuriers.
Robert Charles Wilson, d'origine américaine
mais vivant depuis longtemps au Canada, est né en 1953. Son livre
Mysterium,
récompensé par le Philip K. Dick Award, a eu un succès
considérable en France. Parmi ses autres livres on citera Le
Vaisseau des voyageurs et Les Fils
du vent. |
Critique
Telle que l'annoncent illustration et quatrième de
couverture, le propos est déjà intéressant. Le remplacement de toute vie en
Europe, un jour de 1912, l'année du Titanic, par une faune et une flore
extraterrestres, et la lente exploration de ce monde. Avec ses baraques
installées là où s'étendait Londres ou ses fragiles implantations
continentales rappelant les factoreries curwoodiennes, Wilson renverse les
histoires de notre pré-adolescence, situées dans l'Ouest sauvage ou le Grand
Nord. Il fait aussi référence, de façon appuyée, aux romans martiens de
Burroughs, et, implicitement, à Lovecraft, entre dieux chitineux et cité
perdue non-humaine. Ce ne serait déjà pas mal, et ferait tout à fait bonne
figure dans l'actuelle floraison de livres ancrés dans un avant-1914 (cf. dans
ce même numéro, la critique des Chemins de l'espace, de Colin Greenland
— où on retrouve Mars). Il ne s'agit pas de steampunk à proprement
parler, mais on savoure le dépoussiérage des romans d'antan, entre exercice de
style et hommage aux grands anciens. Les petites madeleines sont garanties à
tous les étages, l'aventure aussi.
On devrait s'arrêter là. Ne pas parler de la suite.
Laisser le lecteur s'étonner quand il découvrira que cela ne s'arrête pas là,
alors même que ce serait déjà plus qu'intéressant. Que si la référence à 1914
s'impose, c'est que le personnage principal, dans la réalité, dans notre
réalité, est bel et bien mort durant la Première Guerre mondiale. Que derrière
l'apparition soudaine de ce monde sauvage, il y a une explication aux
dimensions plus que cosmogoniques, à côté desquelles Star Wars relève
du minimalisme d'un film d'Éric Rohmer. Ou d'Ingmar Bergman. Que l'on y manie
les années par paquets de dix mille millions, les noosphères galactiques, et
une mort de l'univers replaçant John W. Campbell et Olaf Stapledon dans le
carré des faits divers, le tout rendu accessible et évident par une analogie
avec un incident toujours possible sur votre ordinateur, surtout équipé par
Bill Gates. Et que si ce décollage ébouriffant relativise tout et nourrit une
nostalgie explicite, voire une angoisse existentielle, il ne met pourtant pas
fin à l'aventure — on s'offre même un siège avec tirs nourris, façon western,
et un affrontement de fantômes incarnés, façon La Nuit des morts-vivants.
Autant dire que du destin ultime de l'univers au sort individuel de son héros,
le second nécessairement lié au premier, l'auteur joue sur bien des registres
et des échelles différentes. Qu'on ne s'en plaindra pas. Qu'on en prend plein
les yeux et plein les neurones. Que c'est grandiose. Et que vous feriez mieux
de vous précipiter dessus. Sans délai.
Eric VIAL
Première parution : 1/6/2000
dans
Galaxies 17
Mise en ligne le : 26/10/2001 |