Ward Moore La porte des mondes


Autant en emporte le temps (Bring the Jubilee, 1955)
Traduit par Jane Filion
Denoël coll. Présence du Futur n°229 (1977, 2000)
248 pages       2-207-25058-X
Uchronie. Date de la divergence :  1863 

Quatrième de couverture (édition 2000): 

Oubliez tout ce que vous savez sur l'Amérique!
En 1938, le Sud esclavagiste et prospère domine les États du Nord où végète une population famélique. Et pourquoi? Parce que les Sudistes ont remporté la guerre de Sécession. Et si un jeune historien voyageait dans le temps et allait voir ce qui s'est passé lors de la bataille de Gettysburg, ne pourrait-il pas involontairement changer l'histoire?

Ward Moore (1903-1978) est connu dans le monde entier pour Encore un peu de verdure (qu'on pourrait sous-titrer L'Apocalypse par les plantes) et Autant en emporte le temps, tous deux véritables classique de la science-fiction américaine.
 

A noter que l'édition 2000 propose un superbe dossier sur l'uchronie et Ward Moore écrit par Francis Valéry, auteur de La Cité entre les mondes.

Critique
 
     Pour faire encore plus déplorer son agonie, PdF ajoute aux découvertes des rééditions mieux que bienvenues. Dont ce roman de 1953, traduit en 1977, souvent cité, et ainsi de nouveau disponible. Le Sud y a triomphé en 1863, et dans le Nord, entre récession et racisme, on suit un gamin mal à l'aise dans une société étouffante, qui tente sa chance en ville, travaille dans une librairie, lit avec passion, et a l'occasion de bénéficier d'une fondation semi-clandestine, havre scientifique où se construit une machine à remonter le temps... Peu de choses manquent à ce mélange de récit de formation et d'uchronie  : discussions pour aider le lecteur à comprendre que l'Histoire peut être remodelée, évolution de l'Amérique du Nord et aperçus du reste du monde (dont un Ouganda-Eretz), psychologie dérivée de Freud, éducation sentimentale du héros, avec au moins un personnage féminin qui a pu surprendre à l'époque et contribue à la modernité du roman — avec l'antiracisme, normal pour nous (on l'espère), mais qui put alors avoir valeur de manifeste. Et si quelque adolescent se plaindra du manque d'action, ou si le style s'est parfois patiné, une lecture innocente est possible, comme si l'histoire avait été écrite hier  : après un demi-siècle, cela fait la différence entre un document pour spécialistes et un classique increvable.
     « Classique » rimant avec « appareil critique », Francis Valéry a été chargé d'un dossier d'une quarantaine de pages, rédigé avec talent mais un peu hâtivement. D'où une analyse du texte qui permettra d'en parler sans l'avoir lu, mais aussi des approximations quand à notre Histoire (ainsi Dewey a existé, et a brigué la présidence contre Roosevelt et Truman), ou une fiche sur l'uchronie fatalement trop brève et consacrant un tiers de page au roman comme si elle avait été prévue pour autre chose... Mais la qualité, l'excellence de ce qui est dit de l'auteur, de l'ensemble de son œuvre, ou de la situation de la SF lors de la première publication, font pardonner les scories, et relégueront ces récriminations entre coupage de cheveux en quatre et pure jalousie.
     La seule chose plus urgente que d'acheter ce livre est de trouver un cheveu de cadre commercial, et d'emprunter à nos amis de Ténèbres une poupée vaudou et des aiguilles. Pour venger l'assassinat de la collection.

 

Eric VIAL

Première parution : 1/6/2000
dans Galaxies 17
Mise en ligne le : 25/03/2003

 

© La Porte des Mondes et Icarus
Toutes les critiques sont copyright © 1999 par leurs auteurs.

 Dernière mise à jour de cette page :