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La lune et le Roi-Soleil
(The Moon and the Sun, 1997)
Traduit par Jacques Guiod
J'ai lu Millénaires n°6012
(Mai 1999)
504 pages. 2-277-26012-6
Prix Nébula 1998
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Uchronie.
Date de la divergence : . |
Quatrième de couverture
En 1693, le père jésuite Yves de La Croix, féru
de philosophie naturelle et de science moderne, explorateur au service
du Roi Louis XIV, ramène à Versailles un couple de créatures
marines capturées dans les mers sauvages du Nouveau Monde. Aidé
de sa jeune soeur qui, loin des intrigues de la cour, se voue à
l'étude des sciences naturelles, protégé par le Roi
qui espère découvrir le secret de l'immortalité, il
cherche à percer les mystères du chant de ces sirènes
vivantes.
Mais revendiquer l'intelligence de la créature
est un grave défi à l'obscurantisme chrétien. Il s'agit
alors, pour Yves et sa soeur, de défendre l'impensable, le merveilleux
et la difformité, en deux mots la liberté et la tolérance,
au nom de la fondation de l'esprit scientifique naturaliste.
Conte tragique où vérité
historique et rêves mythologiques se côtoient, où le
merveilleux le dispute à l'exactitude des sources, une belle uchronie,
lauréate du prestigieux Prix Nébula en 1998.
"Un savoureux mélange de fable et
de roman historique, qui offre un portrait saisissant des grandeurs et
des misères de la cour de Versailles." (Science-Fiction Magazine)
Ecrivain de SF reconnue, deux fois lauréate
du prix Hugo et du prix Nébula, Vonda McIntyre a vendu près
de quatre millions de livres dans le monde. La Lune et le Roi-Soleil
a été salué comme son meilleur roman. Elle vit à
Seattle. |
Critiques :
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Laurent Kloetzer
-
Pascal Patoz
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Critique 1 / LK
La lune et le roi-soleil fait partie de ces romans qui montrent
l’inanité des classements. Est-ce de la science-fiction ? Du roman
historique ? De la fable philosophique ? Comme d’habitude chacun y verra
ce qu’il voudra et on comprendra pourquoi J'ai
lu a décidé de publier ce livre dans une collection,
dont tout ce qu’on peut dire est qu’elle rassemble de la littérature
de l'imaginaire.
L’histoire, en quelques mots : nous sommes
à Versailles, en 1693, à la cour d’un Louis XIV vieillissant
sous l’influence de madame de Maintenon. Un jeune savant jésuite,
le Père de La Croix, a capturé un monstre marin dans les
mers du Sud. Est-ce une sirène ? Un triton ? Le monstre est en tous
cas très laid, mais sa voix est divine. Et on le jette dans le bassin
d’Apollon afin qu’il charme les courtisans de Sa Majesté. C’est
alors qu’à travers les yeux de Marie-Josèphe de La Croix,
jeune fille fraîchement arrivée à la cour, férue
de sciences et sœur du jésuite précédemment cité,
nous assistons aux questionnements scientifiques et philosophiques que
pose l’arrivée du monstre. Est-il une bête ? A-t-il une âme
? Peut-on le manger ? Une rencontre avec l’étrange, à la
croisée de l’esprit scientifique naissant et de l’esprit hermétique
déclinant, sur fond d’intrigues de cour.
Malgré un récit qui démarre
lentement, Vonda McIntyre mène bien son histoire. Ses personnages
sont attachants, humains, vivants, l’intrigue comprend un certain nombre
de surprises et de révélations et enfin, l’auteure a bien
travaillé sa documentation. Un des grands plaisirs de ce livre est
d’y trouver les fastes de Versailles, un Louis XIV mystérieux, tyrannique
et royal, de la musique et des danses, des feux d’artifice, des joyaux
et des jets d’eaux, alliés à l’inconfort et à la saleté
de cet extraordinaire château. Tout ceci donne l’occasion de très
belles scènes de cour, de chasse ou de fêtes. Il est dommage
qu’autant de bonnes idées soient desservies par un style imprécis
et un peu flou (qui parle ? Où sont les personnages ? Est-on le
matin ou l’après-midi ?) assorti de nombreuses répétitions
tout au long de l’ouvrage.
Ce roman m’inspire deux remarques : premièrement,
nous nous trouvons en face d’un texte doté de bonnes idées
de bons personnages et d’une bonne histoire, mais de piètres qualités
littéraires. Le scénario est bon, mais le traitement reste
très moyen. N’est-ce pas un reproche que l’on peut faire à
nombre d’œuvres de Science-Fiction (prise au sens large), qui privilégient
l’abondance des idées à une narration rigoureuse de l’intrigue
? Deuxièmement, tout comme dans le cas du steampunk, nous retrouvons
ici une histoire de science-fiction se déroulant dans un cadre historique
autre (le XVIIème siècle), utilisant comme référence
la science de l’époque. Ici, comme chez Guy G.Kay, la littérature
de l’imaginaire rencontre le roman historique et les genres se mélangent
pour le plus grand plaisir du lecteur.
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Critique 2 / PP
Ce joli titre, plus évocateur dans sa version française,
reflète parfaitement les riches contrastes qui font l'intérêt
de ce conte historique tout à fait original.
D'un côté se trouve le Soleil,
le roi bien sûr, mais aussi la cour avec ses conventions absurdes
et rigides, et l'Eglise avec son entêtement à écarter
l'évidence au profit d'un obscurantisme obtus...
De l'autre côté, la Lune... une
créature de l'ombre et des profondeurs, un monstre marin, ou peut-être
simplement une femme d'une espèce différente... Mais aussi
une jeune et jolie antillaise dont la fraîcheur séduit le
roi, mais qui mène un jeu dangereux où elle risque de se
brûler les ailes... Cette héroïne est un très
beau personnage, entier et authentique, bien plus proche de la nature "animale"
de la créature que des "masques" de la cour.
Entre les deux, le père Yves, écartelé
entre ses désirs et ses devoirs, entre sa soif de savoir et sa foi,
entre ses doutes et ses craintes...
La peur de l'autre et l'éternelle lutte
entre science et foi sont bien sûr les deux moteurs de l'intrigue
de cet étrange roman. Mais bien d'autres thèmes sont abordés,
dont par exemple celui de la condition féminine, à une époque
complexe où la femme pouvait être puissante ou pouvait être
artiste... à condition de ne pas le faire savoir !
La lune et le Roi-soleil est une fable
simple, son sujet peut se résumer en quelques mots, mais elle est
riche de sens. C'est aussi une peinture crédible du mythe de la
sirène, aussi pathétique que le conte d'Andersen mais beaucoup
plus réaliste. C'est enfin une fresque historique documentée
(avec quelques personnages fictifs comme dans tout roman historique) où
n'est introduit qu'un seul élément fantastique.
La façon dont Vonda McIntyre mêle
l'Histoire et l'imaginaire est très différente de celle de
Guy Gavriel Kay, qui réinvente au contraire totalement l'Histoire.
Il est donc très intéressant de rapprocher pour les comparer
ces deux auteurs, qui s'illustrent tous deux dans un genre original qu'on
pourrait, si l'on voulait une nouvelle étiquette, appeler Historic
Fantasy.
La Lune et le roi-soleil est bel et
bien un roman inclassable, même si l'auteur explique dans sa préface
qu'elle a voulu écrire une uchronie.
Il n'y a nulle trace ici d'un passé alternatif, puisque les
évènements contés peuvent tout à fait s'intégrer
dans notre propre Histoire, et qu'ils ne sont d'ailleurs pas incompatibles
avec la science actuelle (il pourrait s'agir d'une espèce marine
disparue depuis les faits décrits). Le fait que nulle mention de
ces aventures ne nous soit parvenue est parfaitement expliqué lors
du dénouement, achevant d'écarter cette notion d'uchronie...
En fin de compte, les seules réticences
que l'on peut formuler concernent le style, parfois un peu confus, notamment
dans le début du roman où il est difficile de cerner les
lieux et les personnages. McIntyre est moins à l'aise dans les tableaux
de cour que dans les scènes intimistes, et l'on attend avec impatience
la venue de la fameuse créature. Mais heureusement, ce défaut
s'estompe lorsque celle-ci surgit et la magie opère alors...
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