Xavier
Mauméjean est né en 1963. Auteur éclectique, membre du très étrange Club des
Mendiants Amateurs de Madrid, réunissant des critiques et auteurs de romans
policiers, il a obtenu le Prix Gérardmer 2000 du roman fantastique pour Les
Mémoires de l'Homme-Eléphant et a depuis publié un psycho-thriller, Gotham, et
La Ligue des Héros.
Bibliographie :
- La Ligue des Héros, Mnémos, 2002
- Gotham, Le Masque, 2002
- Les Mémoires de l'Homme-Eléphant, Le Masque, 2000
La page
de Xavier Mauméjean sur le site de la nooSFère
Est-ce que La Ligue des Héros peut-être considéré comme une
uchronie?
Incontestablement, oui. Il me semble que le genre uchronique
correspond bien à notre époque. Il a d'ailleurs, me semble-t-il, pris la place
de l'utopie dans l'imaginaire collectif. Parce que peut-être il ne reste plus
de Terra Incognita à l'âge des satellites, plus d'espaces vierges sur nos
cartes. Les variations sur le temps autorisent toutes les possibilités.
Quelles ont été tes sources d'inspirations?
Houlà, très diverses ! Littérature populaire, pulps, comics du Golden
Age ou relectures modernes façon Alan Moore. Mais aussi quelques films comme
King Kong, Le prisonnier de Zenda ou Les chasses du comte Zaroff. Il
s'agissait de rendre hommage à tout ce qui a formé mon imagination, d'honorer
une dette. Mais je ne souhaitais pas écrire une simple histoire de héros,
uniquement premier degré, dans un cadre
steampunk et féerique, pour faire
joli. Il me semblait plus intéressant d' infléchir le genre, de produire une
réflexion critique. Lorsque vous êtes un héros, spécialement entraîné pour
déjouer chaque semaine les plans d'un maître du monde, il doit forcément en
rester des traces. C'est pourquoi certains deviennent cyniques, trahissent ou
sombrent dans l'alcoolisme.
Dans ton roman, l'amateur de comics retrouvera des références assez
nettes aux personnages de la DC Comics ou de la Marvel Comics : qu'est ce qui
t'a poussé à les utiliser ?
Le fait que les comics prolongent le genre des romans héroïques du XIX
ème, début XX ème, et que l'on ne peut aujourd'hui parler de héros en faisant
l'impasse sur les Fantastic Four ou les
X-Men. Ils sont les héritiers de Doc Savage et son équipe, comme Batman est le
fils du Shadow, ou mieux, de Zorro.
Y'a t'il eu une influence de la "Ligue des Gentlemen Extraordinaires" de Alan
Moore sur La ligue des Héros .
T'en es-tu inspiré? Et si oui dans quelle mesure?
Je revendique complètement l'influence d'Alan Moore sur mon roman. Mais
davantage le terrifiant travail de sape des Watchmen que la Ligue des
Gentlemen Extraordinaires, dévorée cela dit lors de sa parution en VO. Je
pense qu'en fait nous avons tous deux des sources communes : "Prince Zarkon"
de Lin Carter, qui a pour conseillers Bruce Wayne et The Shadow vieillissants,
la très étrange P.U.L.P (Personages United in League as Protectors) de Richard
Lupoff, peut-être la première ligue héroïque, qui réunit entre autres Doc
Savage, The Avenger, John Carter et le docteur Watson -excusez du peu !- mais
surtout l'univers World Newton de Philip José Farmer, entreprise colossale qui
tend à prouver que tous les héros de la littérature populaire sont
généalogiquement apparentés ! L'intertextualité qui permet les rencontres
impossibles me paraît être une technique littéraire majeure de l'Uchronie.
La musique pop joue un rôle important dans l'histoire, pourquoi ?
Je te remercie d'en parler, car pour moi, c'est une dimension majeure
du roman. Une partie du récit se passe à la toute fin des sixties, période ou
le rock prend des chemins inattendus. Les recherches expérimentales des
Beatles, Beach Boys ou de Soft Machine - pour ne citer que ceux-là ! -
marquent profondément une génération et la poussent à réagir. Un véritable
infléchissement de l'Histoire, rendu uniquement possible par la musique pop.
Hendrix et les autres ont modifié le réel, et produit une "uchronie négative"
: y aurait-il eu des soulèvements d'étudiants, et des manifestations contre la
guerre du Viet-Nam sans eux ? Difficile à dire, mais notre monde aurait été
bien différent. Mes personnages ont besoin de cette énergie pour retrouver
leur dynamisme oublié.
Tu fais référence au Pays de Nulle Part et aux personnages de J.M.
Barrie, mais avec quand même un aspect plus tourmenté, plus sombre. Pourquoi
cette vision si éloignée du monde idyllique crée par Barrie?
Parce que je pense sincèrement que le Peter Pan de Barrie est une
créature terrifiante. Un être instable dans un corps d'enfant, qui enlève des
bébés, ce n'est pas rien ! Je voulais faire de Peter une icône du mal, qui
oeuvre toutefois pour l'indépendance des créatures féeriques, opprimées par
l'Empire. Est-il sincère, ou n'est-ce qu'un jeu, difficile à dire... Qui sait
ce qui se passe dans la tête d'un enfant ? Pour en revenir au roman de Barrie,
il faut savoir que certains éléments comme les dagues de glace, armes
favorites des fées, figurent dans le texte original. Barrie était lui-même un
personnage sombre et tourmenté.
Tu nous offres une vision quelque peu onirique de cette Europe
victorienne: un subtil mélange de réalité historique dans laquelle tu
introduis des éléments imaginaires. A tel point que l'on finit par se demander
si tout n'est pas un rêve. Tu entraînes le lecteur dans une spirale mélangeant
rêve et réalité ,et l'on finit par ne plus savoir ce qui est vrai et ce qui
est imaginaire. Y aurait-il du Terry Gillian là dessous ("Brazil", "L'Armée des
Douzes Singes") ?
Rêve ou réalité, je laisse le lecteur libre de se prononcer, mais chut
!, ne divulguons pas la fin. Quant à Terry Gillian, il est vrai que j'aime
beaucoup ses films, particulièrement le bricolage scientifique et dérisoire de
"Brazil", et plus encore de "L'Armée des Douze Singes". Face à la puissance de
l'imagination, la science perd pied, lâche du terrain, mais cherche tout de
même à résister. Ce n'est peut-être pas une bonne chose, il faut savoir
quitter la partie.
Comptes-tu revenir sur les aventures de Lord Kraven, afin d'approfondir
le personnage?
C'est amusant que tu en parles, car on me le demande très souvent ces
temps-ci. On y songe, avec mon éditeur, à condition de ne pas livrer une
simple suite du style "Lord Kraven, le retour". Il faudrait que le roman ne
soit pas une plate redite, qu'il apporte quelque chose de nouveau. J'ai un
projet, qui renverse complètement le premier roman tout en restant dans la
continuité. Ma directrice littéraire, avec qui j'ai grand plaisir à
travailler, paraît enthousiaste. Donc...
Je ne vois qu'un seul défaut à ton roman: je n'ai pas vu de personnage
féminin majeur? Est-ce que je me trompe?
J'avais bien pensé intégrer à la Ligue un personnage inspiré de Lola
Montés et Mata-Hari, mais ça ne fonctionnait pas. C'est le genre qui veut ça.
Regarde, dans les équipes de super-héros, la partie féminine joue trop souvent
le rôle de charmante potiche, et c'est quelque chose que je me refusais de
faire. Reste que dans le roman l'influence féminine est primordiale : la reine
Victoria, la communauté des Fées, ou le commissaire Zyd, qui incarne l'espoir
dans un régime fasciste. Un influence indirecte, mais fondamentale.
Quels sont tes prochains projets ?
A nouveau une
uchronie, située à Babylone en 600 avant JC. Les dieux
ont déserté le pays, livrant le peuple au chaos. Un récit extrêmement violent,
à paraître chez Le Masque. Le roman est achevé. Sinon une foultitude de
projets, dont la suite de "La Ligue des Héros", qui devrait notamment se
passer au Mexique et en Chine, durant les 55 jours de Pékin et... au Pays de
Nulle Part .
Merci Xavier.
|