Quatrième de couverture
En ce 18 octobre 1988, Jeff Winston se trouve
dans son bureau new-yorkais, et écoute sa femme lui répéter
au téléphone:
- Il nous faut, il nous faut...
Il leur faudrait, bien sûr, un enfant,
une maison plus confortable. Mais surtout parler. A coeur ouvert.
Sur ce, Jeff meurt d'une crise cardiaque. Il
se réveille en 1963, à l'âge de dix-huit ans, dans
son ancienne chambre d'université. Va-t-il connaître le même
avenir? Non, car ses souvenirs sont intacts. Il sait qui va gagner le prochain
Derby, et ce qu'il en sera d'IBM et d'Apple... De quoi devenir l'homme
le plus puissant du monde, jusqu'à sa deuxième mort, et qu'une
troisième, puis une quatrième vie commencent... |
Critique
S'il y a bien une idée qui a traversé tous
les esprits, c'est celle de « Et si je pouvais revivre ma vie, qu'est-ce que je
ferais ? ». Jeff Winston n'a pas à se poser cette question lorsqu'il se réveille
dans sa chambre d'université à Atlanta en 1963, à l'âge de 18 ans. C'est qu'il
vient de mourir, dans la quarantaine, d'une crise cardiaque qui l'a terrassé au
téléphone le 18 octobre 1988. Par quel miracle peut-il bien avoir été ressuscité
dans son propre passé ? La vie ne lui laisse pas le temps d'y penser tout de
suite : des souvenirs « antécédents » sont intacts, Jeff va pouvoir réellement
refaire sa vie ! En commençant à se monter une fortune coquette en pariant au
derby sur les chevaux qui vont/auront gagné.
Mais revivre n'est pas si facile. Et l'Histoire ne se laisse pas facilement
manipuler. Certes, la seconde vie de Jeff Winston n'a rien à voir avec la
première : il est fort riche, propriétaire d'une multinationale qui n'existait
pas dans sa première vie, il ne se marie pas avec sa première femme, il évite à
son camarade d'université le suicide, etc... Mais lorsque Jeff tente d'empêcher
l'assassinat de J.F. Kennedy les événements dérapent dans le même sens que la
première fois : ce n'est plus Lee Harvey Oswald le meurtrier mais une autre
personne ! Et le pire est encore à venir : malgré cette fois une santé de fer,
Jeff meurt à nouveau en octobre 88 d'une crise cardiaque, inexplicable
médicalement.
Pour se réveiller à nouveau en 63, cette fois un peu plus tard, lors d'une
séance de cinéma avec sa petite amie de l'époque.
Et ainsi de suite : la mort est inévitablement présente le 18 octobre 1988,
effaçant chacune des vies bien différentes les unes les autres, consacrées à
chaque fois à une exploration des possibilités offertes à un individu... Jeff
n'est pas seul : il rencontre une femme qui, elle aussi, fait des « replay »
successifs... Dans quel but ? Pour quelle raison ? Qui manipule d'aussi
incompréhensibles événements ?
Un thème de roman aussi évident n'aurait pas pu être traité avec succès par
n'importe quel écrivain. La plupart des auteurs n'auraient tout simplement pas
su exploiter correctement un sujet aussi... universel, d'une apparence aussi
simple, et c'est avec la plus grande prudence que je me suis lancé dans la
lecture de Replay. Bonheur : Ken Grimwood s'en est excellemment tiré. Pas le
moindre dérapage, pas la plus petite erreur de construction ou d'inspiration.
Replay est un roman passionnant, le genre qu'il est difficile de lâcher tant
l'intrigue vous pousse toujours en avant. À la fois grave et plein d'humour,
réaliste, profondément humain, intelligent et lucide, ce roman est une des plus
grandes réussites de la littérature spéculative récente. S'il fallait des
comparaisons dans le domaine de la SF, je pencherais pour les meilleurs Brunner,
Silverberg et Wilhelm. Quant à son thème, il rappellera également certains
textes de Peter S. Beagle, par exemple.
Ceci dit, s'agit-il bien de SF ? La question pourra se discuter, assurément,
mais là où je n'ai pas le moindre doute, c'est qu'un tel livre aurait eu sa
place toute trouvée parmi les Ailleurs & Demain de la grande époque, au sein la
spéculative-fiction humaniste des années 75 (celle des auteurs cités plus haut
et des Bester, Tevis, Ellison, Coney, Jeury...). D'aucuns classeront plutôt ce
livre dans le fantastique, sous le prétexte que la réincarnation est un thème
typiquement fantastique. C'est ainsi que Replay a obtenu le World fantasy Award
l'an dernier. Mais qu'importe les querelles d'étiquettes : dans tous les cas, il
s'agit là d'une œuvre magistrale, dont la publication en France en dehors d'une
des sacro-saintes « collections spécialisées » ne doit pas être le permis
d'inhumer.
André-François RUAUD
Première parution : 1/4/1989
dans Fiction 407
Mise en ligne le : 29/1/2003 |