Francis Valery La porte des mondes

La Cité entre les mondes
Denoël coll. Présence du Futur n° 620 (2000)
355 pages              2-207-24950-6 
Uchronie. Date de la divergence : 1902
Quatrième  de couverture : 

Francis Valéry est surtout connu pour ses essais sur la télévision, X-Files en particulier. Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre une carrière littéraire qui lui a valu de publier plusieurs romans dont les Voyageurs sans mémoire, salué par la critique.

Le vingtième siècle est tout jeune et voilà qu'un dinosaure a été aperçu dans un des coins les plus reculés d'Afrique. Sponsorisés par le rédacteur en chef Hugo Gernsback, le professeur Samuel Blumstein et son assistant Joseph Plumet s'embarquent dans une aventure qui les mènera jusqu'à la Cité entre les mondes... En chemin, ils affrontent des espions allemands, de terribles hommes-léopards et leur chef: la Griffe Noire.
Romans d'aventures scientifiques sur lequel plane l'ombre de Jules Verne, la Cité entre les mondes allie steampunk et expédition africaine pour le plus grand plaisir des lecteurs.

N.B: ce roman, par certains aspects, renvoie à la nouvelle de Francis Valery L'oiseau du Zimbabwe, publiée en 1999 dans l'anthologie Futurs Antérieurs chez Fleuve Noir.

Critiques

     Ce petit bijou de roman uchronique est un  récit à la manière de Jules Verne: on y suit les tribulations d'un professeur, secondé d'un jeune journaliste, mélange de Tintin et de Rouletabille. Le cadre colonialiste (celui de l'Afrique des hommes-léopards), les sociétés secrètes, les méchants chinois font de ce récit un pastiche du roman d'aventures typique du début du siècle. Les rebondissements en tous genres, étayés par le recours aux connaissances scientifiques de l'époque (mais quelle époque au juste ?) y ajoutent le nécessaire zeste de science-fiction : rencontre avec des E.T. télépathes, des dinosaures... L'on y découvre également un sanctuaire édifié par une société extraterrestre quand les hommes n'étaient que des préhominiens (cela ne vous rappelle pas un certain monolithe?).

     Ce roman est représentatif du courant steampunk. Ici, Agatha Miller (alias Christie) côtoie Oppenheimer, et Enstein est contemporain d'un étonnant éléphant construit à Paris par Eiffel Personnellement, bien que déçue par mes précédentes incursions dans le steampunk, trop artificiel à mon goût, je me suis bien amusée en lisant ce roman. Ici le style "début du siècle" donne à cette histoire un fumet de déjà lu (revendiqué par l'auteur) pour ceux qui aiment Jules Verne. Francis Valéry est son digne successeur, mais heureusement il  ne se prend pas au sérieux.

     A déconseiller aux allergiques à Jules Verne et à la littérature du début du siècle. A recommander aux autres.
     Francis Valéry a dit vouloir abandonner la SF : souhaitons qu'il change d'avis.
 

Françoise Boutet

Aventures Verniennes et africaines (un roman de genres).

     Nous sommes en 1913. Le monde hésite entre l’euphorie scientifique due à la grande marche du progrès et le pessimisme lié aux menaces de guerre planant sur l’Europe. Cette année 1913 ressemble fort à celle que vous pouvez connaître. Certes, on a construit un éléphant à la place du Sacré Cœur, certes le Napoléon IV a renversé la troisième République en 1902, certes on y trouve beaucoup de dirigeables (ah, l’influence des dirigeables sur l’imagination des auteurs !), certes le Zaïre est devenu indépendant cinquante ans plus tôt… Mais ne vous en faîtes pas, vous trouverez vite vos repères.

     Le professeur Samuel Blumlein est un jeune génie de l’école normale supérieure. En compagnie de son assistant, Joseph Plumet, il se lance dans une expédition en Afrique afin de retrouver un dinosaure… expédition financée par Hugo Gernsback, rédacteur en chef de la Gazette Tricontinentale illustrée.

     La Cité entre les mondes est un roman d’aventures. On y trouve des personnages haut en couleurs, des voyages en paquebot ou des dirigeables, du mystère (mais qui diable a enlevé Von Toplitz ?), de l’action, des sociétés secrètes, des assassins dans la nuit… Il est écrit dans un style vif et distrayant, alternant les points de vue et les ambiances, faisant que le lecteur ne s’ennuie jamais. Outre Samuel Blumlein (scientifique Vernien un rien excentrique), on y croise un savant prussien avec un monocle, un apprenti journaliste enthousiaste, une jeune dame anglaise voulant sa faire un nom dans la littérature de mystère (une certaine Agatha Miller…). Et le méchant est vraiment méchant, merci.

     Toutefois, le roman d’aventures n’est pas la seule influence de ce livre. Je crois qu’avant tout, la Cité entre les mondes est un roman de genres. Quels genres ? Et bien, plein d’entre eux, justement. Roman de voyage africain, aventures scientifiques à la Jules Verne (merci le Fulgur !) où à la Conan Doyle (le monde perdu n’est pas loin), roman d’espionnage ou bien de science-fiction, ce livre ne saurait se ranger sous une étiquette. Enfin, pas sous une seule étiquette, ce qui revient au même. Il joue avec les clichés et avec les références, permettant de le lire à plusieurs niveaux… C’est là d’ailleurs que se situera mon seul reproche, assez mineur : certains clins d’œil sont un peu trop voyants à mon goût.

     Pour ne rien gâcher, ce roman assez ludique contient quelques très beaux passages, quand il évoque l’Afrique. Le livre devient alors plus sérieux, plus poétique et offre quelques grandes plages de rêve…

     Pour conclure, je dirai que je ne peux pas promettre que les amateurs de Steampunk, de Fantasy ou de space-opera trouveront leur bonheur dans les pages de ce livre (et beurk que je déteste tous ces termes anglais intraduisibles). Je peux juste dire qu’il est distrayant, très agréable à lire, souvent bien écrit avec quelques très belles pages. Tout à fait le genre de livre qu’il faut pour briser le ghetto de la science-fiction, le genre de livre que je pourrais offrir à mon père (lecteur de Conan Doyle et de Verne) ou à mon petit frère.

Laurent Kloetzer


 
 

     En se lançant dans une expédition vers un monde perdu à la Conan Doyle, en poursuivant par un récit colonial à la Pierre Loti, en adoptant les manières du roman feuilleton à la Sax Rohmer ou le ton d’un ouvrage d’aventures scientifiques entre Jules Verne et Henri Vernes, en louchant enfin vers le roman policier ou d’espionnage pour aboutir finalement à une oeuvre de science-fiction, Francis Valéry a choisi de rendre un bel hommage à plus d’un siècle de littératures populaires, ces littératures souvent marginalisées, voire méprisées. 

     L’auteur s’est manifestement délecté à jeter dans la mêlée une foule de personnages pittoresques : une sorte de professeur Challenger qui se révélera posséder plusieurs facettes, un jeune journaliste naïf qui coiffe le casque colonial de Tintin au Congo, une romancière en herbe qui aurait pu s’appeler Christie dans un autre univers, un belge ventripotent prénommé Hercule qui pourrait bien inspirer la précédente, un terrifiant chinois manchot digne de Fu-Manchu, un savant génial mais évidemment fou qui veut conquérir le monde, des francs-maçons d’obédiences rivales, des hommes-léopards, des espions, des esclaves, etc… 
     Il en profite pour se moquer malicieusement des nationalismes exacerbés en accentuant les caricatures pour les prendre ensuite à contre-pied, tout en s’irritant du racisme ordinaire qu’implique le colonialisme.

     Côté aventures, nous aurons notre content d’enlèvements, de poursuites, d’apparitions, de mystérieux signaux, etc... Francis Valéry n’a pas lésiné sur les 
moyens !Côté science-fiction, il a également décidé de taper large. Nous sommes dans une uchronie, dont la divergence est complexe mais où l’événement le plus remarquable est la prise de pouvoir en 1902 par Napoléon IV, qui a balayé définitivement les espoirs républicains. Cette uchronie a des faux airs de steampunk : d’élégants dirigeables sillonnent les airs, mais aussi d’improbables aérogires – machines volantes – équipant les hommes-léopards, ou d’autres machines toutes aussi surprenantes.
     Mais tout ceci cache d’une part l’existence d’extra-terrestres échoués sur notre planète depuis quelques milliers d’années, en attente de la réactivation d’un fameux monolithe ( ! ), et d’autre part une vallée hors du temps où survivent quelques dinosaures…
     A l’évidence, Valéry a ouvertement multiplié les clins d’œil et les références, et une constante ironie baigne l’ensemble de l’ouvrage. L’écriture mêle divers pastiches à des passages résolument modernes, et le texte est en outre agrémenté de diverses chroniques ou d’extraits de carnets de voyage, qui contribuent à étoffer l’univers mis en scène.

     C’est donc avec un pur plaisir que l’on savoure ce mélange des genres alerte et dynamique, ce fourre-tout bruyant et coloré, cet amalgame ludique et inventif. 
Mais on doit aussi saluer l’habileté de l’auteur qui, malgré les multiples surprises et rebondissements dont il s’est amusé à truffer chaque chapitre, a su garder une parfaite cohérence au récit. En plus du côté facétieux de l’entreprise, il faut en effet souligner que l’intrigue principale est tout à fait captivante et que  l’association des floughs et des Anciens, naviguant au travers de tunnels de dimensions non entières, forme l’un des plus beaux couples d’extraterrestres qui nous aient jamais été présentés.

     En conclusion, voici un roman anti-dépresseur, à consommer sans modération pour être d’excellente humeur.  


Pascal Patoz
 

© La Porte des Mondes et Icarus
Toutes les critiques sont copyright © 1999 par leurs auteurs.

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