Critiques
Ce petit bijou de roman uchronique est un
récit à la manière de Jules Verne: on y suit les tribulations
d'un professeur, secondé d'un jeune journaliste, mélange
de Tintin et de Rouletabille. Le cadre colonialiste (celui de l'Afrique
des hommes-léopards), les sociétés secrètes,
les méchants chinois font de ce récit un pastiche du roman
d'aventures typique du début du siècle. Les rebondissements
en tous genres, étayés par le recours aux connaissances scientifiques
de l'époque (mais quelle époque au juste ?) y ajoutent le
nécessaire zeste de science-fiction : rencontre avec des E.T. télépathes,
des dinosaures... L'on y découvre également un sanctuaire
édifié par une société extraterrestre quand
les hommes n'étaient que des préhominiens (cela ne vous rappelle
pas un certain monolithe?).
Ce roman est représentatif du courant
steampunk. Ici, Agatha Miller (alias Christie) côtoie Oppenheimer,
et Enstein est contemporain d'un étonnant éléphant
construit à Paris par Eiffel Personnellement, bien que déçue
par mes précédentes incursions dans le steampunk, trop artificiel
à mon goût, je me suis bien amusée en lisant ce roman.
Ici le style "début du siècle" donne à cette histoire
un fumet de déjà lu (revendiqué par l'auteur) pour
ceux qui aiment Jules Verne. Francis Valéry est son digne successeur,
mais heureusement il ne se prend pas au sérieux.
A déconseiller aux allergiques à
Jules Verne et à la littérature du début du siècle.
A recommander aux autres.
Francis Valéry a dit vouloir abandonner
la SF : souhaitons qu'il change d'avis.
Françoise Boutet
Aventures Verniennes et africaines (un roman de genres).
Nous sommes en 1913. Le monde hésite
entre l’euphorie scientifique due à la grande marche du progrès
et le pessimisme lié aux menaces de guerre planant sur l’Europe.
Cette année 1913 ressemble fort à celle que vous pouvez connaître.
Certes, on a construit un éléphant à la place du Sacré
Cœur, certes le Napoléon IV a renversé la troisième
République en 1902, certes on y trouve beaucoup de dirigeables (ah,
l’influence des dirigeables sur l’imagination des auteurs !), certes le
Zaïre est devenu indépendant cinquante ans plus tôt…
Mais ne vous en faîtes pas, vous trouverez vite vos repères.
Le professeur Samuel Blumlein est un jeune
génie de l’école normale supérieure. En compagnie
de son assistant, Joseph Plumet, il se lance dans une expédition
en Afrique afin de retrouver un dinosaure… expédition financée
par Hugo Gernsback, rédacteur en chef de la Gazette Tricontinentale
illustrée.
La Cité entre les mondes
est un roman d’aventures. On y trouve des personnages haut en couleurs,
des voyages en paquebot ou des dirigeables, du mystère (mais qui
diable a enlevé Von Toplitz ?), de l’action, des sociétés
secrètes, des assassins dans la nuit… Il est écrit dans un
style vif et distrayant, alternant les points de vue et les ambiances,
faisant que le lecteur ne s’ennuie jamais. Outre Samuel Blumlein (scientifique
Vernien un rien excentrique), on y croise un savant prussien avec un monocle,
un apprenti journaliste enthousiaste, une jeune dame anglaise voulant sa
faire un nom dans la littérature de mystère (une certaine
Agatha Miller…). Et le méchant est vraiment méchant, merci.
Toutefois, le roman d’aventures n’est pas la
seule influence de ce livre. Je crois qu’avant tout, la Cité entre
les mondes est un roman de genres. Quels genres ? Et bien, plein d’entre
eux, justement. Roman de voyage africain, aventures scientifiques à
la Jules Verne (merci le Fulgur !) où à la Conan Doyle (le
monde perdu n’est pas loin), roman d’espionnage ou bien de science-fiction,
ce livre ne saurait se ranger sous une étiquette. Enfin, pas sous
une seule étiquette, ce qui revient au même. Il joue avec
les clichés et avec les références, permettant de
le lire à plusieurs niveaux… C’est là d’ailleurs que se situera
mon seul reproche, assez mineur : certains clins d’œil sont un peu trop
voyants à mon goût.
Pour ne rien gâcher, ce roman assez ludique
contient quelques très beaux passages, quand il évoque l’Afrique.
Le livre devient alors plus sérieux, plus poétique et offre
quelques grandes plages de rêve…
Pour conclure, je dirai que je ne peux pas
promettre que les amateurs de Steampunk,
de Fantasy ou de space-opera trouveront leur bonheur dans les pages de
ce livre (et beurk que je déteste tous ces termes anglais intraduisibles).
Je peux juste dire qu’il est distrayant, très agréable à
lire, souvent bien écrit avec quelques très belles pages.
Tout à fait le genre de livre qu’il faut pour briser le ghetto de
la science-fiction, le genre de livre que je pourrais offrir à mon
père (lecteur de Conan Doyle et de Verne) ou à mon petit
frère.
Laurent Kloetzer
En se lançant dans une expédition
vers un monde perdu à la Conan Doyle, en poursuivant par un récit
colonial à la Pierre Loti, en adoptant les manières du roman
feuilleton à la Sax Rohmer ou le ton d’un ouvrage d’aventures scientifiques
entre Jules Verne et Henri Vernes, en louchant enfin vers le roman policier
ou d’espionnage pour aboutir finalement à une oeuvre de science-fiction,
Francis Valéry a choisi de rendre un bel hommage à plus d’un
siècle de littératures populaires, ces littératures
souvent marginalisées, voire méprisées.
L’auteur s’est manifestement délecté
à jeter dans la mêlée une foule de personnages pittoresques
: une sorte de professeur Challenger qui se révélera posséder
plusieurs facettes, un jeune journaliste naïf qui coiffe le casque
colonial de Tintin au Congo, une romancière en herbe qui aurait
pu s’appeler Christie dans un autre univers, un belge ventripotent prénommé
Hercule qui pourrait bien inspirer la précédente, un terrifiant
chinois manchot digne de Fu-Manchu, un savant génial mais évidemment
fou qui veut conquérir le monde, des francs-maçons d’obédiences
rivales, des hommes-léopards, des espions, des esclaves, etc…
Il en profite pour se moquer malicieusement
des nationalismes exacerbés en accentuant les caricatures pour les
prendre ensuite à contre-pied, tout en s’irritant du racisme ordinaire
qu’implique le colonialisme.
Côté aventures, nous aurons notre
content d’enlèvements, de poursuites, d’apparitions, de mystérieux
signaux, etc... Francis Valéry n’a pas lésiné sur
les
moyens !Côté science-fiction, il a également décidé
de taper large. Nous sommes dans une uchronie, dont la divergence est complexe
mais où l’événement le plus remarquable est la prise
de pouvoir en 1902 par Napoléon IV, qui a balayé définitivement
les espoirs républicains. Cette uchronie
a des faux airs de steampunk
: d’élégants dirigeables sillonnent les airs, mais aussi
d’improbables aérogires – machines volantes – équipant les
hommes-léopards, ou d’autres machines toutes aussi surprenantes.
Mais tout ceci cache d’une part l’existence
d’extra-terrestres échoués sur notre planète depuis
quelques milliers d’années, en attente de la réactivation
d’un fameux monolithe ( ! ), et d’autre part une vallée hors du
temps où survivent quelques dinosaures…
A l’évidence, Valéry a ouvertement
multiplié les clins d’œil et les références, et une
constante ironie baigne l’ensemble de l’ouvrage. L’écriture mêle
divers pastiches à des passages résolument modernes, et le
texte est en outre agrémenté de diverses chroniques ou d’extraits
de carnets de voyage, qui contribuent à étoffer l’univers
mis en scène.
C’est donc avec un pur plaisir que l’on savoure
ce mélange des genres alerte et dynamique, ce fourre-tout bruyant
et coloré, cet amalgame ludique et inventif.
Mais on doit aussi saluer l’habileté de l’auteur qui, malgré
les multiples surprises et rebondissements dont il s’est amusé à
truffer chaque chapitre, a su garder une parfaite cohérence au récit.
En plus du côté facétieux de l’entreprise, il faut
en effet souligner que l’intrigue principale est tout à fait captivante
et que l’association des floughs et des Anciens, naviguant au travers
de tunnels de dimensions non entières, forme l’un des plus beaux
couples d’extraterrestres qui nous aient jamais été présentés.
En conclusion, voici un roman anti-dépresseur,
à consommer sans modération pour être d’excellente
humeur.
Pascal Patoz
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