Interview de Xavier Mauméjean La porte des mondes

La Ligue des Héros

La Ligue des Héros

(ou comment Lord Kraven ne sauva pas l'empire)

Mnémos coll. Icares (2002)

220 pages      2-911618-78-5

Xavier Mauméjean est né en 1963. Auteur éclectique, membre du très étrange Club des Mendiants Amateurs de Madrid, réunissant des critiques et auteurs de romans policiers, il a obtenu le Prix Gérardmer 2000 du roman fantastique pour Les Mémoires de l'Homme-Eléphant et a depuis publié un psycho-thriller, Gotham, et La Ligue des Héros.
 

 

Bibliographie :
- La Ligue des Héros, Mnémos, 2002
- Gotham, Le Masque, 2002
- Les Mémoires de l'Homme-Eléphant, Le Masque, 2000

 

 

La page de Xavier Mauméjean sur le site de la nooSFère

 

 

Est-ce que La Ligue des Héros peut-être considéré comme une uchronie?
Incontestablement, oui. Il me semble que le genre uchronique correspond bien à notre époque. Il a d'ailleurs, me semble-t-il, pris la place de l'utopie dans l'imaginaire collectif. Parce que peut-être il ne reste plus de Terra Incognita à l'âge des satellites, plus d'espaces vierges sur nos cartes. Les variations sur le temps autorisent toutes les possibilités.

 

Quelles ont été tes sources d'inspirations?
Houlà, très diverses ! Littérature populaire, pulps, comics du Golden Age ou relectures modernes façon Alan Moore. Mais aussi quelques films comme King Kong, Le prisonnier de Zenda ou Les chasses du comte Zaroff. Il s'agissait de rendre hommage à tout ce qui a formé mon imagination, d'honorer une dette. Mais je ne souhaitais pas écrire une simple histoire de héros, uniquement premier degré, dans un cadre steampunk et féerique, pour faire joli. Il me semblait plus intéressant d' infléchir le genre, de produire une réflexion critique. Lorsque vous êtes un héros, spécialement entraîné pour déjouer chaque semaine les plans d'un maître du monde, il doit forcément en rester des traces. C'est pourquoi certains deviennent cyniques, trahissent ou sombrent dans l'alcoolisme.
 

 

Dans ton roman, l'amateur de comics retrouvera des références assez nettes aux personnages de la DC Comics ou de la Marvel Comics : qu'est ce qui t'a poussé à les utiliser ?
Le fait que les comics prolongent le genre des romans héroïques du XIX ème, début XX ème, et que l'on ne peut aujourd'hui parler de héros en faisant l'impasse sur les Fantastic Four ou les

X-Men. Ils sont les héritiers de Doc Savage et son équipe, comme Batman est le fils du Shadow, ou mieux, de Zorro.



Y'a t'il eu une influence de la "Ligue des Gentlemen Extraordinaires" de Alan Moore sur La ligue des Héros .  T'en es-tu inspiré? Et si oui dans quelle mesure?

Je revendique complètement l'influence d'Alan Moore sur mon roman. Mais davantage le terrifiant travail de sape des Watchmen que la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, dévorée cela dit lors de sa parution en VO. Je pense qu'en fait nous avons tous deux des sources communes : "Prince Zarkon" de Lin Carter, qui a pour conseillers Bruce Wayne et The Shadow vieillissants, la très étrange P.U.L.P (Personages United in League as Protectors) de Richard Lupoff, peut-être la première ligue héroïque, qui réunit entre autres Doc Savage, The Avenger, John Carter et le docteur Watson -excusez du peu !- mais surtout l'univers World Newton de Philip José Farmer, entreprise colossale qui tend à prouver que tous les héros de la littérature populaire sont généalogiquement apparentés ! L'intertextualité qui permet les rencontres impossibles me paraît être une technique littéraire majeure de l'Uchronie.

 

 

La musique pop joue un rôle important dans l'histoire, pourquoi ?
Je te remercie d'en parler, car pour moi, c'est une dimension majeure du roman. Une partie du récit se passe à la toute fin des sixties, période ou le rock prend des chemins inattendus. Les recherches expérimentales des Beatles, Beach Boys ou de Soft Machine - pour ne citer que ceux-là ! - marquent profondément une génération et la poussent à réagir. Un véritable infléchissement de l'Histoire, rendu uniquement possible par la musique pop. Hendrix et les autres ont modifié le réel, et produit une "uchronie négative" : y aurait-il eu des soulèvements d'étudiants, et des manifestations contre la guerre du Viet-Nam sans eux ? Difficile à dire, mais notre monde aurait été bien différent. Mes personnages ont besoin de cette énergie pour retrouver leur dynamisme oublié.

 

Tu fais référence au Pays de Nulle Part et aux personnages de J.M. Barrie, mais avec quand même un aspect plus tourmenté, plus sombre. Pourquoi cette vision si éloignée du monde idyllique crée par Barrie?
Parce que je pense sincèrement que le Peter Pan de Barrie est une créature terrifiante. Un être instable dans un corps d'enfant, qui enlève des bébés, ce n'est pas rien ! Je voulais faire de Peter une icône du mal, qui oeuvre toutefois pour l'indépendance des créatures féeriques, opprimées par l'Empire. Est-il sincère, ou n'est-ce qu'un jeu, difficile à dire... Qui sait ce qui se passe dans la tête d'un enfant ? Pour en revenir au roman de Barrie, il faut savoir que certains éléments comme les dagues de glace, armes favorites des fées, figurent dans le texte original. Barrie était lui-même un personnage sombre et tourmenté.
 

 

Tu nous offres une vision quelque peu onirique de cette Europe victorienne: un subtil mélange de réalité historique dans laquelle tu introduis des éléments imaginaires. A tel point que l'on finit par se demander si tout n'est pas un rêve. Tu entraînes le lecteur dans une spirale mélangeant rêve et réalité ,et l'on finit par ne plus savoir ce qui est vrai et ce qui est imaginaire. Y aurait-il du Terry Gillian là dessous ("Brazil", "L'Armée des Douzes Singes") ?
Rêve ou réalité, je laisse le lecteur libre de se prononcer, mais chut !, ne divulguons pas la fin. Quant à Terry Gillian, il est vrai que j'aime beaucoup ses films, particulièrement le bricolage scientifique et dérisoire de "Brazil", et plus encore de "L'Armée des Douze Singes". Face à la puissance de l'imagination, la science perd pied, lâche du terrain, mais cherche tout de même à résister. Ce n'est peut-être pas une bonne chose, il faut savoir quitter la partie.

 

Comptes-tu revenir sur les aventures de Lord Kraven, afin d'approfondir le personnage?
C'est amusant que tu en parles, car on me le demande très souvent ces temps-ci. On y songe, avec mon éditeur, à condition de ne pas livrer une simple suite du style "Lord Kraven, le retour". Il faudrait que le roman ne soit pas une plate redite, qu'il apporte quelque chose de nouveau. J'ai un projet, qui renverse complètement le premier roman tout en restant dans la continuité. Ma directrice littéraire, avec qui j'ai grand plaisir à travailler, paraît enthousiaste. Donc...

 

Je ne vois qu'un seul défaut à ton roman: je n'ai pas vu de personnage féminin majeur? Est-ce que je me trompe?
J'avais bien pensé intégrer à la Ligue un personnage inspiré de Lola Montés et Mata-Hari, mais ça ne fonctionnait pas. C'est le genre qui veut ça. Regarde, dans les équipes de super-héros, la partie féminine joue trop souvent le rôle de charmante potiche, et c'est quelque chose que je me refusais de faire. Reste que dans le roman l'influence féminine est primordiale : la reine Victoria, la communauté des Fées, ou le commissaire Zyd, qui incarne l'espoir dans un régime fasciste. Un influence indirecte, mais fondamentale.
 

 

Quels sont tes prochains projets ?
A nouveau une uchronie, située à Babylone en 600 avant JC. Les dieux ont déserté le pays, livrant le peuple au chaos. Un récit extrêmement violent, à paraître chez Le Masque. Le roman est achevé. Sinon une foultitude de projets, dont la suite de "La Ligue des Héros", qui devrait notamment se passer au Mexique et en Chine, durant les 55 jours de Pékin et... au Pays de
Nulle Part .


Merci  Xavier.

 

© La Porte des Mondes et Icarus
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