Ken Grimwood La porte des mondes

Replay (Replay, 1986)
Traduit par Françoise et Guy Casaril
1 Ed. Seuil , coll. Cadre vert (1988)
                                 2-02-010084-3

2 Point Seuil n° 399   (1997)
   343 pages            2-02-032126-2

Uchronie. Date de la divergence :   1963
Quatrième de couverture

En ce 18 octobre 1988, Jeff Winston se trouve dans son bureau new-yorkais, et écoute sa femme lui répéter au téléphone:
- Il nous faut, il nous faut...
Il leur faudrait, bien sûr, un enfant, une maison plus confortable. Mais surtout parler. A coeur ouvert.
Sur ce, Jeff meurt d'une crise cardiaque. Il se réveille en 1963, à l'âge de dix-huit ans, dans son ancienne chambre d'université. Va-t-il connaître le même avenir? Non, car ses souvenirs sont intacts. Il sait qui va gagner le prochain Derby, et ce qu'il en sera d'IBM et d'Apple... De quoi devenir l'homme le plus puissant du monde, jusqu'à sa deuxième mort, et qu'une troisième, puis une quatrième vie commencent...

Critique

S'il y a bien une idée qui a traversé tous les esprits, c'est celle de « Et si je pouvais revivre ma vie, qu'est-ce que je ferais ? ». Jeff Winston n'a pas à se poser cette question lorsqu'il se réveille dans sa chambre d'université à Atlanta en 1963, à l'âge de 18 ans. C'est qu'il vient de mourir, dans la quarantaine, d'une crise cardiaque qui l'a terrassé au téléphone le 18 octobre 1988. Par quel miracle peut-il bien avoir été ressuscité dans son propre passé ? La vie ne lui laisse pas le temps d'y penser tout de suite : des souvenirs « antécédents » sont intacts, Jeff va pouvoir réellement refaire sa vie ! En commençant à se monter une fortune coquette en pariant au derby sur les chevaux qui vont/auront gagné.
Mais revivre n'est pas si facile. Et l'Histoire ne se laisse pas facilement manipuler. Certes, la seconde vie de Jeff Winston n'a rien à voir avec la première : il est fort riche, propriétaire d'une multinationale qui n'existait pas dans sa première vie, il ne se marie pas avec sa première femme, il évite à son camarade d'université le suicide, etc... Mais lorsque Jeff tente d'empêcher l'assassinat de J.F. Kennedy les événements dérapent dans le même sens que la première fois : ce n'est plus Lee Harvey Oswald le meurtrier mais une autre personne ! Et le pire est encore à venir : malgré cette fois une santé de fer, Jeff meurt à nouveau en octobre 88 d'une crise cardiaque, inexplicable médicalement.
Pour se réveiller à nouveau en 63, cette fois un peu plus tard, lors d'une séance de cinéma avec sa petite amie de l'époque.
Et ainsi de suite : la mort est inévitablement présente le 18 octobre 1988, effaçant chacune des vies bien différentes les unes les autres, consacrées à chaque fois à une exploration des possibilités offertes à un individu... Jeff n'est pas seul : il rencontre une femme qui, elle aussi, fait des « replay » successifs... Dans quel but ? Pour quelle raison ? Qui manipule d'aussi incompréhensibles événements ?
Un thème de roman aussi évident n'aurait pas pu être traité avec succès par n'importe quel écrivain. La plupart des auteurs n'auraient tout simplement pas su exploiter correctement un sujet aussi... universel, d'une apparence aussi simple, et c'est avec la plus grande prudence que je me suis lancé dans la lecture de Replay. Bonheur : Ken Grimwood s'en est excellemment tiré. Pas le moindre dérapage, pas la plus petite erreur de construction ou d'inspiration. Replay est un roman passionnant, le genre qu'il est difficile de lâcher tant l'intrigue vous pousse toujours en avant. À la fois grave et plein d'humour, réaliste, profondément humain, intelligent et lucide, ce roman est une des plus grandes réussites de la littérature spéculative récente. S'il fallait des comparaisons dans le domaine de la SF, je pencherais pour les meilleurs Brunner, Silverberg et Wilhelm. Quant à son thème, il rappellera également certains textes de Peter S. Beagle, par exemple.
Ceci dit, s'agit-il bien de SF ? La question pourra se discuter, assurément, mais là où je n'ai pas le moindre doute, c'est qu'un tel livre aurait eu sa place toute trouvée parmi les Ailleurs & Demain de la grande époque, au sein la spéculative-fiction humaniste des années 75 (celle des auteurs cités plus haut et des Bester, Tevis, Ellison, Coney, Jeury...). D'aucuns classeront plutôt ce livre dans le fantastique, sous le prétexte que la réincarnation est un thème typiquement fantastique. C'est ainsi que Replay a obtenu le World fantasy Award l'an dernier. Mais qu'importe les querelles d'étiquettes : dans tous les cas, il s'agit là d'une œuvre magistrale, dont la publication en France en dehors d'une des sacro-saintes « collections spécialisées » ne doit pas être le permis d'inhumer.

André-François RUAUD

Première parution : 1/4/1989
dans Fiction 407
Mise en ligne le : 29/1/2003

 

 

 

 

 

 

 


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